Dessin: Cyrille Vessière

Chronique "Sapere aude" par Frédéric Louis :

 Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais du manque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc la devise des Lumières.
    La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchis depuis longtemps par la nature de toute tutelle étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie durant des mineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Il est si commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur spirituel qui a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., je n’ai pas besoin de faire des efforts moi-même. Je ne suis point obligé de réfléchir, si payer suffit ; et d’autres se chargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]
    Il est donc difficile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cette minorité devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellement incapable de se servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques destinés à l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses dons naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.
    Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossé même plus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreux ceux qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minorité tout en ayant cependant une démarche assurée.
    Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible ; c’est même, si seulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujours quelques hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs officiels du plus grand nombre, qui, après voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-même. […]
Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus inoffensive de toutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.

                                                                       Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784

Ce petit texte étrangement court et compréhensible d'Emmanuel Kant (il faut dire qu'il ne nous a pas habitué à cela !)  est lumineux; il nous met face à un miroir et à nos propres responsabilités.

En effet il s'adresse à chacun de nous selon nos différences. Qu'on l'envisage comme un texte libéral, libertaire même, il est, avant tout, libérateur et sa portée est universelle.

Bien étrange voyage que nous demande le philosophe à la découverte de notre propre majorité : il faut pour cela sans doute marcher à l'ecart des foules ruminantes et de fêtes de masse (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4633) pour trouver sa voie. Voyager pour s'enrichir mais pas pour enrichir l'industrie du tourisme, cette forme moderne de paresse (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4629).

Voyager, voyager par étape, année par année. Un an, qui marque la révolution complète de la terre autour du soleil, où tout continue et à la fois, tout recommence. L'Artocrate nos filleuls, fêtent leur 1 an et déjà 21 numéros. Bravo à Nyden et toute sa bande d'allummés ! (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4632)

Un an pour l'Artocrate et bientôt quatre, si je compte bien pour les Editions de l'Abat-jour, cette maison qui, c'est le moins qu'on puisse dire, n'emprunte pas les sentiers battus, à l'image du receuil de nouvelles de Serge Caznave-Sarkis, "Amis Imparfaits". (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4628)

Etaient-ils amis, ceux-là ? Ils sont si proches et pourtant si loins, Armand Schultess et Ben Vautier, à tel point qu'il nous semble parfois voir double. Qu'importe, il y aura toujours des directeurs de conscience qui vous diront quoi aimer et des marchands qui sauront quoi acheter. (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4641)

Lâcher la main des directeurs de conscience et se laisser guider par son inconscient justement, dans les labyrinthes de l'esprit pour accéder à la création. Elisa Amaru et Odile Alleguede nous propose ce voyage dans " l'Art fantastique..." et Cathy Garcia, tel le Virgile de Dante nous guide. (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4638)

Mais à travers ce chemin, qu'il soit dans notre cerveau ou celui de notre liberté, nous tombons bien souvent dans nos propres ornières; par paresse, par facilité, par résignation. A l'image de ce Brésil à la corruption galopante et à propos de laquelle Iara Farias Borges se demande si le peuple  complice ne ferme pas les yeux pour ne pas avoir à trop les ouvrir.(http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4625). Consommer aussi, les yeux fermés, jusqu'à l'ivresse, au risque de s'enfermer dans le système aliénant de "l'argent dette". Ce documentaire édifiant de Paul Grignon présenté par amandine Brûlée, marque-t-il la fin du voyage ? ( http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4631)

Il faut dire qu'il y a partout et à tous les niveaux des courroies de transmissions qui marchent dans la combine, des petits chefs de succursales de banques (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4634) aux traders qui cherchent à gagner de l'argent en rognant sur le temps.

La fin des temps ou du temps. Le temps qui prend de l'avance sur nous, qui nous double et nous laisse sur place. Mais ce temps artificiel n'est finalement qu'une illusion. Le salut viendra peut-être de la gestion du temps et de la réappropriation des espaces, à travers le partage et l'écoute, le vrai temps celui de l'amour. (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4649)

Ce temps-là, passera-t-il par un révolution pacifique ou par la révolte ? Cette révolte qui est toujours au fond de nous-même comme un cri de dignité. Et quand ce cri devient un chant de révolte et de libération, c'est toujours le même chant, "Bella Ciao", presque aussi universel que ce beau texte de Kant. (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups/4643)

Merci pour ce voyage immobile.

F.L. aux Urbains de Minuit