Svankmajer, Alice
ou "le charme de la démence", comme dit Deleuze :
La Chronique illustréePUBLIÉ LE 27/01/2013 à 16 PAR LES URBAINS DE MINUIT
Svankmajer, Alice ou "le charme de la démence", comme dit Deleuze : 0 commentaires Nuire à la bêtisePUBLIÉ LE 18/01/2013 PAR FREDERIC LOUIS avec la boîte à outils L'Abécédaire, de Gilles Deleuze/Claire Parnet Réalisé par Pierre-André Boutang, et tourné en 1988-1989 dans l'appartement du philosophe, rue de Bizerte dans le 17ème arr. de Paris (non loin de la place Clichy), cet objet filmique constitué d'un seul plan fixe et sans montage, sous forme d'abécédaire, procède plus d'une technique "d'intercession" que d'un entretien, confie Claire Parnet à Libération en Mars 1997. "Le programme philosophique de Gilles était celui de Nietzsche: la philosophie sert à nuire à la bêtise", rajoute-elle à la suite, et tout ceci est tellement juste et pertinent que je pourrais m'arrêter là. Tel qu'en lui-même dans son salon, c'est un Deleuze fatigué et malade que Claire Parnet retrouve à l'occasion de ce jeu de piste filmé, et qui ne devra être montré qu'après sa mort selon le contrat. Du coup, sans le vouloir, tout prend un tour particulier, devient une sorte d'antichambre de l'Hadès, où Claire apparaît parfois comme en reflet dans un miroir usé, semblant d'apparition où elle saisit peut-être de manière furtive comme la part féminine et le charme du philosophe. Rien n'est coupé, pas même les changements de bobines ni le cadreur qui fait le métier... du coup le parti pris de l'absence de mise en scène en devient une. Il y a presque un effet comique dans les interventions continuelles du cadreur, dans le sourire de Deleuze agacé, obligé d'arrêter de dérouler son idée, de se reprendre, supplice ultime pour lui. Si la mise en scène est à la "va-comme-je-te-pense", la préparation et le choix de "lettres" fût minutieux, avouera-telle. Impossible pour Deleuze d'improviser, lui travailleur impénitent, faussement facile : pas le genre de la maison. Claire Parnet aiguillonne le corps fatigué de l'homme, qui se rebiffe parfois mais toujours avec bienveillance ; toujours le philosophe prends le dessus sur sa vieille peau d'homme, qui alors s'éclaire, s'égaie, d'une joie simple, la joie de penser, de dérouler ses idées. Alors l'œil pétille comme l'œil d'un jeune amoureux, amoureux du logos plus que de la sophia. Ce qui me touche ici, c'est l'infinie tendresse de Deleuze envers Claire Parnet, mais plus largement envers ses étudiants, ses partenaires de pensée. On met le doigt juste sur un élément très important pour lui, l'amitié dans la pensée, la philia grecque. Le contenu est à découvrir, par petits bouts, sans ordre précis. Tout se recoupe, rien de linéaire sinon les lignes de fuite... On ne cesse de tourner autour de mêmes thèmes, les obsessions du philosophe. Chaque lettre est un outil, on peut s'en servir ou non, le laisser de côté. A comme animal, c'est peut-être ce qui a été dit de plus beau sur ce qu'est être un écrivain, un artiste. B comme boisson, où l'éloge de l'avant dernier verre de l'alcoolique... D comme désir, retour sur son Anti-Œdipe et les salles de cours enfumées et bondées de Paris VIII. F comme fidélité à l'amitié qu'il considère comme une condition de l'exercice de la pensée. H comme histoire de la philosophie, où Deleuze explique comment il est passé du statut d'historien de la philosophie à philosophe. L comme littérature. M comme maladie, où le philosophe se dévoile un peu dans ses agencements de "vieil homme malade" non sans quelque ironie. P comme professeur, tendresse et charme, jeu de cache-cache. S comme style. Enfin W comme Wittgenstein, réglement de compte devenu culte, où il ne s'est pas fait que des amis. A Z, on retrouve"zig-zag", la fin du voyage, mais aussi le début et la naissance du monde pour le philosophe. Deleuze nous apprend que rien du sens commun ne va de soi, les mots sont à rediscuter sans cesse, à retourner comme des gants. La philosophie pour lui n'est pas affaire que de spécialistes, il la considère comme un art, avec différents niveaux de lecture, sans hiérarchie dans les niveaux. Deleuze se nourrit de tout, à l'économie, selon ses besoins, pas plus. Il avoue son effarement pour l'érudition, le savoir livresque. Lui n'a rien en réserve, mais il se sert de tout ce qu'il a. Pour lui, le philosophe est un créateur, créateur de concepts, rien de plus, rien de moins. Il peste contre les "nouveaux philosophes" qui tiennent le haut du pavé et "habitent" les plateaux télé. 25 ans après, on voit que rien a vraiment changé... Gilles Deleuze, atteint d'une grave maladie respiratoire, et ne voulant sans doute pas devenir une "loque d'hopital" comme il répète souvent dans l'abécédaire, choisira de se jeter par une fenêtre de ce même appartement de la rue de Bizerte le 4 Novemdre 1995. Ayant travaillé jusqu'au bout, il aura le temps de publier "Qu'est-ce que la philosophie" et "Critique et Clinique" (ed. de Minuit) deux livres de première importance dans son oeuvre. "Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie." G. Deleuze 1988 Vous trouverez au lien suivant - et je ne sais pour combien de temps encore - tous les livres de Deleuze numérisés en pdf https://googledrive.com/host/0B_fraZSApDBaWTZ2c1AySkJhY1U/ A noter le remarquable travail d'archive de la facuté de Paris VIII : http://www.univ-paris8.fr/deleuze Pour rester encore un peu avec le reflet de Claire Parnet : 'Dialogues avec Claire Parnet', coll. "champs", Flamarion Avant de se jeter dans le Grand Bain : 'L'Abécédaire de Gilles Deleuze', de Pierre-André Boutang, entretiens avec Claire Parnet réalisés en 1988, Éditions Montparnasse, 2004. A noter pour les moins fortunés que presque tout se trouve sur internet ... de A à Z, sur VIMEO, par exemple. L'Abécédaire est une belle boite à outils, avec de beaux outils dedans, à utiliser surtout de manière détournée, pour forcer la lunette arrière des idées reçues, dégonder la porte d'entrée des idées... et partir par la porte de service.
Frédéric Louis, aux Urbains de Minuit, et de midi Mots clés : #philosophie 1 commentaires Le 2015-07-31 08:23:43 par jesuisdoncjepense Certes, lors de l'enregistrement, ainsi qu'il l'indique, Deleuze habitait encore rue de Bizerte. Ce qui n'était plus le cas lorsqu'il s'est suicidé, sept ans plus tard : il s'est jeté de la fenêtre de son appartement avenue Niel (même arrondissement). Ce qui certes n'est pas d'une grande importance... |