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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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La Chronique Illustrée

(image : Marcel Duchamp, LHOOQ)

Chronique  "Le mariage des contraires" par Frédéric Louis :

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Le mariage des contraires

(photo : l'actrice de théâtre Maude Adams dans son costume de Peter Pan)

....maman est en haut...papa est en bas....

Au fond c'est leur problème,  elle en haut, lui en bas, et le lendemain l'inverse... si  comme dit l'autre, "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas."

C'est cet esprit canaille qui a présidé à la Saint Valentin Bi(s) le 15 Février 2014 au Court-Circuit à Nice, fête que les Urbanocrates ont re-inventé, comme ce bref historique va vous le prouver.

Pour un niçois et à l'époque du Carnaval on aimerait bien que le Carnaval de Nice soit un peu comme celui de Dunkerque, une vraie fête populaire, celle de l'inversement des valeurs, les hommes déguisés en femmes où comme le dit Mircea Eliade "dans l'attente d'une nouvelle année se répètent les moments mythiques du passage du chaos à la cosmogonie".

Carnaval de Dunkerque... ça change !

Chez nous, certes on brûle le roi, un roi de papier...mais les extincteurs ne sont jamais loins...et le vrai roi de papier, celui qui compte et qui est compté, dort sagement dans un tiroir-caisse.

fais dodo...

Car avant d'être la fête du marketing, le Carnaval était la fête de tous les excès. Commençant à l'Epiphanie, finissant à Mardi-Gras et annonçant Carême,  40 jours de jeûne pour arriver à Pâques, moment de la résurrection du Christ et accesssoirement de la nature aussi. En terme de récupération, les chrétiens avaient déjà ouvert la voie aux comptables et ont systématiquement calqué les fêtes chrétiennes sur les fêtes païennes  basées sur le cycle des saisons, la mort puis la renaissance.  Il n'ont pas manqué non plus de bâtir leurs églises sur les temples païens , vieille tradition dans le commerce du "changement de propriétaire".

t'auras du lolo...

Car toutes ces fêtes et célébrations ont des origines et antiques et ont été recyclées à longueur de temps, à commencer par le Solstice d'hiver , le jour de l'année où la nuit est la plus longue (coïncidant  avec la naissance de Jésus) célébré au moins depuis l'Egypte antique et marquant la crue du Nil. Suivent l'Epiphanie et la Chandeleur où l'on met symboliquement des disque solaires (galettes des rois, crèpes) dans nos assiettes : on force le destin du soleil en s'en nourrissant symboliquement.*

S'en suivent notre Saint Valentin où cette fête de l'amour romantique coïncidait bien avant cela, au Mariage sacré de Zeus et d'Héra puis aux fêtes de la fertilité romaines appelées Lupercales (tout cela vers le 15 février ...oups !) sorte de cache-cache géant où les célibataires, et non pas les amoureux, essayaient d'augmenter le taux de natalité du patelin dans les bois alentours... les "Urbanocrates" et leur Saint Valentin Bi(s) avaient donc de qui tenir ce quinze Février dernier (photos ici : http://https://www.facebook.com/media/set/?set=a.524470064337886.1073741838.382650751853152&type=1 )

Enfin, arrive notre Carnaval, avatar lointain des fêtes Dyonisiaques grecques et des Saturnales romaines dont les démeusures et les inversions en tous genres accompagnaient les fêtes religieuses. Cette inversion du sens et des sens a perduré longtemps, a été très présente dans notre moyen-âge où la critique du Roi était autorisée, et a perduré jusqu' à il n'y a pas si longtemps à travers notament le Veglione, ou bal masqué organisé à l'Opéra de Nice, à la réputation sulfureuse et où selon les dires de mon père la seule partie du costume qui restait bien en place était... le masque.

http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=1085

Véglione fliqué...déjà !

Inversion, dispersion

Le problème avec l'inversion des valeurs c'est  qu'on peut aussi assister à l'inversion de l'inversion, comme ce Carnaval qui constitue la partie de l'année la plus fliquée sur Nice et ça n'est pas peu dire... fête populaire où plus personne ne participe, vendue aux touristes, pur produit de la "société du spectacle" et où toute tentative de revitalisation à travers les tradition et l'enthousiasme populaire a été systématiquement réprimée, infiltrée et réduite à néant. J'en veux pour preuve le pauvre Carnaval indépendant de St Roch à qui on reprochait d'être quoi ? un vrai Carnaval et non l'image un peu grotesque et pantoufle de celui-ci.

A l'époque, l'église chrétienne s'était  emparée des lieux et des cultes païens, mais en avait gardé la dimension symbolique et spirituelle, même si elle les éducolorait au passage**, il n'en restait pas moins "matière à penser". De nos jours, seule la forme intéresse le marketing qui a vidé de sens toutes les fêtes de ce type. De plus, depuis quelques années et surtout depuis quelques mois, la cristallisation et la montée en puissance des forces normatives pronant des valeurs traditionnelles, augmentent la peur et normalisent plus encore les consommateurs frileux dont le désir ne peut que se retourner vers l'achat immédiat et facile de biens de consommation.

Avec les dernières fanstasmagories sur la théorie du genre et surtout les deux manifestations ("manif pour tous" et "jour de colère") tout se passe comme si, ces alliance hétéroclites (et de circonstance), envisageaient notre société comme un Carnaval permanent qu'il faudrait coûte que coûte arrêter et disperser sous peine de désintégration de la sacro-sainte norme. Autre inversion et contradiction dans les termes : cette norme est minoritaire et hétérogène, et c'est elle défile pour faire cesser ce dérèglement fantasmé de notre société ou "Carnaval permanent" qui, lui, ne manifeste plus. La norme comme force de dispersion...

cette Unité retrouvée

Au fond il semble que, comme cet éternel cycle des saisons, nous ayons toujours la même bataille à mener et la vieille symbolique, celles des solstices, n'est pas prête à disparaitre : lutter contre la nuit de la pensée, cette force normative, immobile et mortifère qui plonge tout dans l'obscurité, qui fait qu'on ne distingue plus les différences dans la nuit et pour cela, allumer des lumières. Il est certains que c'est au moment où la lumière est au plus bas qu'on les distingue le mieux ces petites lueurs, drôle de paradoxe.

Puis alors si on peux y voir un peu plus clair, inverser les valeurs, éveiller le désir, se mettre à la place de l'autre, jauger les différences. La pensée ni même la philosophie ne se font sans désir et sans distance critique, donc différences. La pensée est un voyage, et penser du même au même, c'est tourner en rond . Le philosophe est celui qui aime la sagesse, qui la courtise justement parce qu'elle lui échappe, c'est un être de manque donc de désir qui essaie de dépasser les conditions de sa propre pensée, et dont le désir le fait déborder d'elle-même.

Mais au fond, au-delà de l'amusement quel est le but de cette "hubris", cette inversion des valeurs, cette volonté de se déguiser, de se bigarrer, de tutoyer les extrêmes, tirer au maximum le champ des possibilités, allonger les distances,  ouvrir l'évantail des possibles ? C'est pour mieux s'aimer simplement et retrouver dans cet amour fusionnel ce goût d'une unité retrouvée, le printemps de la pensée et sa renaissance. La fête de la Saint Valentin, au-delà de l'amour romantique, pourrait être l'occasion, au moment où tout se disperse, ou tout meurt, de retouver une unité. L'histoire est vieille comme le monde, où du Chaos né le Cosmos.

Il faudrait réinventer les fêtes, les revivifier, les revitaliser : La  Saint Valentin comme une fête des différences pouvant entrer en unité ou du moins en résonnance ou en harmonie. On veut toujours tout intégrer, c'est-à-dire gagner cette guerre qui consiste faire plier la partie la plus faible, l'incorporer dans la partie forte en l'éducolorant au passage. Mais c'est oublier que l'on peut se concevoir comme multiple. L'Hermaphrodite de la mythologie n'est pas seulement cette personne ayant un attribut sexuel en plus, c'est le fils d'Hermes et d'Aphrodite dont l'union amoureuse avec une Nymphe fait de ces deux personnes une seule et même à la fois homme et femme,  union, unité,  mais aussi possibilité de vivre doublement dans une alchimie de l'Amour.

rébis ou hermaphrodite

L'expérience de l'Unité qui est ce sentiment très fort, ou plutôt cette sensation d'être ici et maintenant présent au monde en plénitude, ne peut se vivre que lorsque l'on remplit les conditions de réunir toutes les parties de son être, toutes les parties différentes en un seul et même élan. L'être monolithique, monofonctionnel,  est condamné lui, à un sentiment de manque irréductible, mais dans sa chance ou sa malchance, il l'ignore.

D'une certaine manière c'est l'Arlequin du Carnaval qui nous donne la plus belle des leçons. Arlequin, italien, était pauvre, il n'avait pas d'argent pour acheter un costume, alors sa mère (italienne) pris des chutes de tissus qu'elle assembla et ce sont ces pièces éparses, bigarrées, ajustées entre elles que naquit l'identité d'Arlequin,  son unité dans la diversité rassemblée par l'amour.

Il est toujours  épuisant d'avoir le cul entre deux chaises et de devoir lutter, argumenter, assumer la complexité, garder la tête hors de l'eau face aux donneurs de leçons, et on peut parfois en venir à envier les monofonctionnels, ceux qui ont des certitudes, des vérités, une religion établie, alors que nous, pauvres enfants perdus dans le pays des rêves, où nous risquons à chaque instants de nous faire dévorer par le crocodile, capturer par le crochet du capitaine, condamnés à inventer nos vies dans l'espoir d'un(e) Peter Pan***,  passeur de mondes, qui fera glisser un peu de magie dans le monde réel, et un peu de réalité dans le monde de nos rêves.

 

F.L.

aux Urbains de Minuit, et de midi

 

Notes : * Culte de Perséphone, déesse de la lumière enlevée par Hadès dans le monde des morts et recherchée par Déméter Déesse de la fertilité (entre autres). Comme la déesse de la Lumière est absente du monde d'en haut, il faut  déployer des lumières artificielles (chandeleur=chandelles) d'où les fêtes de la Lumière un peu partout où on allume des bougies.

** http://assr.revues.org/17883,

***le rôle-titre de Peter Pan a souvent été interprété par une femme dans la tradition théâtrale du travesti. Dès la première représentation le rôle de Peter Pan avait été interprété par une femme, Maude Adams. Le Peter Pan de Disney révolutionne donc la pièce. Jeff Kurty parle d'une tradition brisée par Disney. Ce point a été longuement discuté à la fois en terme technique, mais aussi en termes d'impact, dont la sexualité (in Wikipédia)

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