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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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La Chronique Illustrée

"Merde". Jacques Prévert et son chien, Paris. Photo de Robert Doisneau, 1953.

Embauché malgré moi dans l’usine à idées
J’ai refusé de pointer 
Mobilisé de même dans l’armée des idées
J’ai déserté Je n’ai jamais compris grand-chose.
Il n’y a jamais grand-chose 
ni petite chose 
il y a autre chose. 
Autre chose
c’est ce que j’aime qui me plaît
et que je fais. 


Jacques Prévert

0 commentaires

Indifférence, je te vomis !

Image - Dessin Zacloud
 

     L’indifférence mène le monde, il faut le reconnaître. 

Comment l’être humain, merveilleuse réalisation de l’évolution, doué d’un système nerveux perfectionné, comment peut-il se montrer apathique, ataraxique, insensible, impassible, froid, sans amour, sans intérêt pour l’Autre ? Eh bien, il le peut. Détaché. Ni douleur, ni plaisir, ni crainte, ni désir. Proche de la mort donc. Oui, il le peut.

Lorsque j’étais enfant, nous allions au cinéma, mes parents et moi, le samedi soir. Et lors de notre retour à pied vers la maison, l’hiver, dans le noir je distinguais souvent une forme allongée, dans un coin ou un autre, un peu protégé, signe qu’un humain était là, dormant dehors, dans le froid. Je pleurais silencieusement d’incompréhension et de refus. Mes parents espéraient que je ne voie rien.

Je me torturais aussi à croiser des animaux, errants, perdus, abandonnés, beaucoup plus nombreux dans les rues, alors. Rassemblant dans la même compassion tous ces êtres vivants en déroute, malmenés, travaillés par la faim, les intempéries, seuls, je ressentais comme une torsion de mes organes. J’avais mal. J’étais mal. Dans mon lit, attendant un sommeil qui se dérobait, je me racontais une histoire, un conte… dans mon futur j’allais être capable de faire construire des immeubles pour accueillir les sans-abris et les animaux abandonnés. Ni humains, ni bêtes « enfermés » dehors. Je souriais à cet avenir réconfortant et, alors, je m’endormais…

Puis pendant plusieurs années je n’ai plus vu de gens dormir dehors.
 
Je n’ai pas fait construire ces maisons-asiles. J’ai, en revanche, recueilli beaucoup de chats !
Puis la pauvreté est réapparue de façon presque exponentielle. Toujours plus de SDF, de miséreux, des familles entières à la rue, et une nouvelle population en perdition, les sans-papiers.

 

 

Nous n’avons pas bloqué les rues, ni les places, ni les bâtiments institutionnels. Nous ne nous sommes pas révolté(e)s. La pauvreté perdure au milieu de richesses toujours plus grandes. Avons juste trouvé quelques palliatifs associatifs ou personnels.

À chaque événement bouleversant, tortures, exécutions sommaires, assassinats, exécutions capitales par les États, exactions contre des femmes, des enfants, des palestiniens, des juifs, des immigrés, à chaque noyade de migrants, à chaque barbarie envers un animal, je réagis comme lorsque j’étais enfant. Je n’ai pas perdu ma capacité de révolte, un idéal de justice et de réparation. Beaucoup restent indifférent(e)s. La plupart ?
 
 
 
  Voici quelques exemples de réactions, trouvés sur le Net, et les déductions que l’on peut en tirer :
 
   -Dans son ultime message, Abdelwahab Medded*, écrit « Comment laisser des barbares, coupeurs de têtes, égorgeurs d’anges, d’innocents, fiers de leur crime, le mettant en scène, le diffusant universellement, comment les laisser sévir, envahir le monde par leur amour de la mort, leur haine de la vie, leur phobie de tout autre, comment les laisser souiller le mot islam et les laisser agir en notre nom? » 
En décrivant la position d’indifférence par ces interrogations, Abdelwahab Medded souligne que de telles attitudes de laisser faire sont  insoutenables. Il s’insurge. Il propose des actions : « …nous estimons que nous avons deux positions à prendre d’urgence…  La première consiste en une immédiate protestation, celle qui dit que moi, en tant que musulman, ces horreurs ne peuvent être faites en mon nom… pour rétablir l’honneur et la dignité du mot islam. La seconde, de fond … , consiste à ne jamais cesser de transmettre les merveilles de l’islam en ces temps de désolation. Car une partie de l’antidote à cette peste noire est à trouver à l’intérieur de notre héritage culturel. »  Il a une thèse : c’est le soufisme qui sauvera l’Islam… La culture en action.
 
  -Autre indignation d’une Internaute tunisienne:
« 2000 morts en une seule journée, des villages rasés de la surface de la terre, une fillette de dix ans qu'on fait exploser au milieu d'un marché, des mains et des têtes coupées, des viols et des rapts, et cela n’émeut presque personne! Boko Haram a les mains libres, et la conscience du monde laisse faire! Aucune marche, aucune manifestation, aucune indignation! Ce sont pourtant des êtres humains comme vous et moi qu'on tue, qu'on brûle, qu'on égorge! Une marche est organisée à Tunis, pour dire NON à la barbarie, non aux massacres de femmes, d'enfants et d'hommes au Nigéria, au nom d'une interprétation erronée d'une religion, non à Boko Haram! Les Nigérians aussi sont des êtres humains! »  À cette forte injonction ne répondra, en fait, qu’une faible mobilisation…

Depuis un bon bout de temps il faudrait des foules immenses en permanence envahissant les "rues" du Monde pour marcher contre les barbaries et désarmer les barbares fanatiques et autres "rigolos", mais les foules ne sortent pas toujours pour les bonnes causes, elles applaudissent souvent les bourreaux ou, sorties pour "la bonne cause", rentrent trop tôt en leurs demeures...

 
  -Autre cause largement relayée sur le Net, celles des animaux. Extrait d’une interview de Franz-Olivier Giesbert publié lundi 23 février par La Troisième Rébublique tunisienne (blog tunisien) à propos de son livre « L’animal est une personne » et de la modification du statut de l’animal dans le code civil : 
« … « L’animal est une personne » est un constat objectif doublé d’un cri d’amour et de colère. Ma femme m’a poussé à l’écrire, à force de m’entendre enrager devant notre passivité face à l’impardonnable. Je ne supporte plus d’entendre les mêmes fadaises quand on évoque les souffrances qu’on fait subir aux bêtes à viande : « Est-ce qu’il n’y a pas des choses plus importantes à faire pour les humains avant de s’occuper des animaux ? » Pour moi, la compassion ne se divise pas. J’observe par ailleurs que ceux qui sont engagés dans la cause animale, sont souvent très actifs contre les guerres ou les injustices sociales. Quand on a du cœur, c’est pour tout le monde ! »
Là y sont fustigées la passivité et une excuse, le prétendu dérisoire de ce problème face  aux "choses plus importantes à faire pour les humains ". Sauf que, comme le souligne Giesbert, ceux ou celles qui avancent cet argument ne sont pas les premier(e)s à agir pour les causes qu’ils ou elles considèrent plus légitimes d’indignation. Il y est dit qu’un des remèdes à l’indifférence est le pouvoir de compassion. Un mouvement du cœur donc.  
Trois réflexions: 
1/D’abord il semble qu’en dehors d’événements terriblement particuliers la balance soit du côté de l’indifférence.

2/Ensuite il y aurait des indignations sélectives : la barbarie envers l’animal est une sous-catégorie. On peut écorcher vive une bête pour lui prendre sa fourrure, la tuer atrocement pour la manger, en bousculant encore moins les consciences. Raison à rechercher peut-être dans…  les premières lignes de l’Ancien Testament où, après avoir créé l’homme à son image, puis la femme, Dieu les bénit et leur dit, dans la traduction d’Augustin Crampon, chanoine de la Cathédrale d’Amiens au XIX° siècle : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et soumettez-la, dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la  terre. » Lignes d’où les trois religions monothéistes puiseraient leur désamour des animaux.

Indignation sélective encore si l’on considère que les exactions envers les femmes, ces « sous-hommes », mobilisent encore moins dans bon nombre de pays.

3/Par ailleurs quand il y a indignation pourquoi ne suffit-il pas d’être réactifs, réactives, pour changer le monde ?

On peut tenter de s’éclairer du côté d’un penseur, Antonio Gramsci*1, philosophe et politique italien, qui a écrit sur l’indifférence (Pourquoi je hais l’indifférence - Traduit de l'italien par Martin Rueff - Collection : Rivages Poche / Petite Bibliothèque  Numéro : 746).  Il est connu pour les formules puissantes comme "Je suis pessimiste avec l’intelligence et optimiste par la volonté" (Lettre dal carcere, Paolo Spriano ed.) 
Si on considère cette formule, l’intelligence nous tirerait vers l’indifférence, car le pessimisme n’est pas facteur de réaction ! Pour lutter contre l’indifférence, bien confortable tant que la culpabilité ne nous tenaille pas, il faut donc déjà de la volonté. Volontaire, oui. 

Voici les premières lignes de son texte « Les indifférents » : « Je hais les indifférents. Je crois comme Friedrich Hebbel que « vivre signifie être partisan ». Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. L’indifférence c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents. » Dans une autre traduction on trouvera « vivre, c’est résister ». Partisan(e) ou résistant(e) donc, contre l’indifférence. 

Le problème du doute semble évacué. Ça m’ennuie. Mais, c’est vrai, le doute, indispensable à mes yeux, est sûrement un facteur qui ralentit l’action. Il ne peut donc avoir qu’un temps. L’individu doit se déterminer, prendre position. S’il reste dans le doute il rejoindra la cohorte des indifférents. 
 
Ce qui caractérise Gramsci ce sont deux formules, selon la préface de Martin Rueff. Celle de Rousseau : « la colère m’a tenu lieu d’Apollon » et celle de Paul Valéry : « j’ai beau faire, tout m’intéresse ». Ainsi Gramsci utilise sa colère en la dépassant, son indignation n’est pas qu’un rejet de ce qui le révolte mais implique une analyse : « comprendre pour tenter de modifier ». Je souligne que s’emporter n’est plus un défaut mais au contraire une valeur à laquelle on adhère parce que la colère se légitime.
À l’échelle historique l’indifférence opère passivement faussement habillée du concept de fatalité. Elle permet alors de se disculper de sa propre responsabilité. Mais nous avons « la sensibilité pour percevoir les souffrances du monde, l’intelligence pour les analyser, et l’imagination pour inventer les solutions politiques qui devront y mettre fin ». L’intelligence contre l’indifférence, avec sensibilité et imagination
La curiosité (« tout m’intéresse ») doit s’y mêler qui permettra de lutter contre le trop de confiance que nous accordons aux experts par paresse, véritable béquille de l’indifférence : laissez à d’autres prétendument plus compétents le soin de décider pour nous, nous en laver les mains. Pas de place pour cette paresse qui laisse les choses aller à leur cours ou parfois les justifie… 
 
 
Alors apathiques, ataraxiques, insensibles, impassibles, froids, sans amour, sans intérêt pour l’Autre, de tous poils, secouez-vous ! 
Impliqué(e)s, cultivé(e)s, capables de compassion, de pitié, indignés, partisan(e)s, résistant(e)s, en  colère, intelligent(e)s, curieux, curieuses, sensibles, imaginatif/ives, vaillant(e)s SOYEZ !
(Mais pointe alors du nez la question du militantisme… que nous laisserons cependant pour une autre fois !)
 

Disons qu’il faut se méfier des philosophies qui prônent de relativiser, qui nous engagent au repli individualiste, qui condamnent la colère, qui nous poussent à cacher nos sentiments, qui magnifient les experts et les hommes providentiels dont nous aurions tout à attendre, qui nous demandent de voir du positif partout… Toujours positiver empêche aussi de trouver les ressorts pour changer. 

L’indifférence mène le monde, il faut le reconnaître, mais ne jamais l’admettre comme définitif.
 
Narki Nal, et Zacloud, pour les images, aux Urbains de Minuit - 25/02/2015
 
 
 * Abdelwahab Meddeb est mort il y a peu. Il se disait prêt à jouer le rôle d’un Voltaire arabe. Né en 1946 à Tunis, il enseigne la littérature comparée à l’université Paris -X- Nanterre. Ecrivain et poète, il revisite inlassablement l’islam, ressuscite la richesse de ses premiers débats et met ses dogmes à l’épreuve pour mieux combattre le simplisme de ses trop nombreux séides. Contre-Prêches, son dernier ouvrage (Le Seuil) est inspiré de ses chroniques dominicales sur Radio Tanger Medi1.
 * 1Antonio Gramsci (1891-1937), philosophe et homme politique italien. Secrétaire du parti communiste italien à la création duquel il avait participé en 1924, il fonda le journal L'Unità. Il est arrêté le 8 novembre 1926 et passe plus de dix ans en prison. Il est libéré en avril 1937 et meurt quelques jours plus tard. Les cahiers qu'il laisse comptent parmi les textes politiques les plus importants du XXe siècle
 
 
 

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4 commentaires
Le 2015-03-16 16:54:52 par Diana
"Mais nous avons « la sensibilité pour percevoir les souffrances du monde, l’intelligence pour les analyser, et l’imagination pour inventer les solutions politiques qui devront y mettre fin ». L’intelligence contre l’indifférence, avec sensibilité et imagination.

L’intelligence contre l’indifférence, avec sensibilité et imagination.

L’intelligence contre l’indifférence, avec sensibilité et imagination.

L’intelligence contre l’indifférence, avec sensibilité et imagination. "

Exacto camarada!
Le 0000-00-00 00:00:00 par Nathalie
Merci pour ce texte, ça remet les pendules à l'heure! À l'action!
Le 0000-00-00 00:00:00 par Jay Cee
Excellent !
Le 0000-00-00 00:00:00 par Polydele
Si l'animal est une personne il est patent de constater que la personne est un animal !
Je compatis moi qui ramassent les plantes abandonnées dans la rue...
Le monde est SOI le reste est abstrait ainsi en est il de l'ego-centrisme...
Numéro : 61 - 60 - 59 - 58 - 57 - 56 - 55 - 54 - 53 - 52 - 51 - 50 - 49 - 48 - 47 - 46 - 45 - 44 - 42 - 40 - 39 - 38 - 37 - 36 - 35 - 34 - 33 - 32 - 31 - 30 - 29 - 28 - 27 - 26 - 25 - 24 - 23 - 22 - 21 - 20 - 19 - 18 - 17 - 16 - 15 - 14 - 13 - 12 - 11 - 9 - 8 - 7 - 6 - 5 - 4 - 3 - 2 - 1 -