Chronique : Parlons Echo (par Valérie MAiT)
La Chronique IllustréePUBLIÉ LE 16/10/2013 à 16 PAR PAR LES URBAINS DE MINUIT 0 commentaires Abécédaire des Urbains, lettre E pour EchoPUBLIÉ LE 16/10/2013 à 16 PAR VALéRIE MAIT Lettre E : ÉCHO
Écho. En journalisme, c’est un court article consacré à une personnalité ou à un événement de la vie d’une personnalité. Essayer de faire court. Car il y aurait tant à dire d’elle. Forcément se limiter. Ovide, Les Métamorphoses, Livre III : Narcisse et Écho. Que sait-on d’Écho, sinon Narcisse ? Dans la mythologie grecque Tirésias prédit que ce dernier serait «malheureux s’il venait à se (re)connaître.» Après cette prédiction, la mère de Narcisse enlève tous les miroirs de la maison afin que celui-ci ne puisse jamais voir son reflet. Il rencontre Écho alors qu’il est perdu en forêt… "est-ce qu’il y a quelqu’un ?" Écho : "il y a quelqu’un". Narcisse appelle : "réunissons-nous" et Écho : "unissons-nous". Écho, nymphe des sources et des forêts, est la personnification de l'écho acoustique. Autrefois bavarde, elle a subi la colère de la déesse Héra «‘Sur ta langue qui m'a abusée, tu auras seulement un pouvoir réduit et un usage très limité de ta voix’. Toutefois, la nymphe répète les sons qui terminent une phrase, et reproduit les mots qu'elle a entendus.» Écho, condamnée à ne jamais prendre la parole la première, tombe amoureuse de Narcisse qui, amoureux de lui-même, de son ombre réfléchie, la rejette. Le cœur brisé, elle s'enfuit dans une grotte solitaire et se laisse dépérir. «Les soucis épuisent son pauvre corps qui ne trouve pas le sommeil ; la maigreur plisse sa peau et toute la sève de son corps disparaît dans l'air. Il ne lui reste que la voix et les os : sa voix subsiste, et on dit que ses os ont l'aspect de la pierre» … Némésis la venge et punit l’indifférent par le triste amour de soi. Il ne tombe pas amoureux de lui mais de l’image qu’il voit. Finalement le narcissisme n’est-ce pas le fait de n'aimer que l’image que l’on renvoie ? Narcisse «aime un espoir sans corps, prend pour corps une ombre.» La question posée par la prédiction pesant sur Narcisse reste celle d’un savoir. Découvrir qui il est. Écho amoureuse - contrairement aux autres soupirants éconduits par Narcisse - persiste, l’entend, le voit, voire le voix, témoin de cet amour excessif de l'image de soi où l’autre se confond. Elle résonne avec Narcisse sans se montrer. Dans ce jeu de miroirs et de reflets, d’errance morbide à soi, Écho pose acte. Certes elle ne peut prendre la parole en premier, mais à l’intérieur de cette malédiction elle fragmente, répète, donne une signification autre ou opposée. Écho fait de l’autre l’expression de son désir propre. Narcisse au moment de se reconnaitre meurt, métamorphosé en fleur blanche. Écho devient évanescente, ses os sont rochers, ne restera d’elle que la voix. Narcisse est un corps, une image sans autre, Écho une parole volatile sans soi. Chacun des deux offrant auparavant à l’autre la possibilité de la vérité qui lui manque, ils disparaissent comme sujets, absorbés dans le grand Tout. Le mythe se rapporte à un passé, à une mémoire collective. Ex-logo. Narcisse, c’est nous, donc. Nous, mortels, penchés sur nos écrans au-dessus de notre folie virtuelle et immatérielle. Echo, incorrigible bavarde, pourrait dans ce monde représenter la tradition orale, immatérielle. Un nouveau mode de communication : Internet, serait la malédiction moderne d’Écho, condamnée à répéter une pensée une image un son des informations dans une réflexion immatérielle en abyme. Le numérique conserve l’image mais la rend instantanée, impalpable, en guise de matériau. Là, dans l’interface de l’écran, deux mondes se font face. Du soft au hard, les images sont vidées de leur substance matérielle, du processus de chambre noire, de ‘mise au monde’. Le texte, le son, les photos existent pourtant, puisque nous les percevons, mais dans l’imprenable. Avec l’immatériel, les données sont volatiles, polymorphes, et dupliquer, copier est possible, à l’infini : le photographe, même s’il utilise l’argentique, et a fortiori le numérique, trouve à peine une unicité dans le copyright, la toile du peintre en se numérisant est devenue immatérielle et accessible, les collections des musées sont accessibles sur la toile, l’image est téléchargeable, déformable, photoshopable, et se perdant nous absorbe, le jeu de miroirs nous est une malédiction infinie «…malheureux s’il venait à se (re)connaître.» Dans ce cosmos numérique, l’image de soi est à la fois fidèle et trompeuse, partielle. Notre identité virtuelle médiatisée nous fascine, et nous immobilise : la puissance de l’image est telle… Comment trouver/garder une identité, comment garder/trouver sa voix ‘tu auras seulement un pouvoir réduit et un usage très limité de ta voix’… Il suffirait pourtant de se détourner de l’écran, peut-être, pour devenir sujet, ou être suffisamment lucide pour utiliser le media sans s’admirer et s’y perdre, au service d’une idée collective par exemple, et donner ainsi substance à Écho, qui entretemps s’époumone dans le cri muet de l’enfermement et de la destruction (est-ce qu’)«Il y a quelqu’un»… Qui sommes-nous dans le numérique, dans cette Écho-culture narcissique et immatérielle ? Des réseaux sociaux aux messageries en passant par la face cachée du net, cette fontaine s’abreuve elle-même, blogs et profils prolifèrent, tout le monde met en commun ce qu’il est, ce qu’il sait ou croit savoir, oui tout le monde laisse des traces de soi, des données personnelles, des mots de passe, s’authentifie, et partage, c’est so cool. Mais dans quel cerveau immatériel versons-nous ces informations, au service de quoi, de quel oubli, ou de quelle idée collective ? Le monde numérique, son absence de matière (grise ?), fait-il de nous des immatériaux ? qui contemplent leur reflet ainsi créé, leur identité ainsi fabriquée de toute pièce, voire autre, une image sans autre ? une image pour une autre ? Nous construisons une image favorable de nous, plus facile à endosser sans doute que dans la réalité. Le tout n’est pas tant de ne pas laisser s’échapper l’image, mais surtout de ne pas laisser s’échapper l’identité dans un système qui nous dépasse, qui dépasse la cité, celle qui nous fonde, pour laquelle nous devrions tous œuvrer. Oui, gardons-nous bien de la perte ou de l’usurpation de notre propre identité dans ce grand Immatériel. Gardons-nous de la parole sans soi, immatérielle. Le mythe est là pour nous le rappeler, pour s’opposer au système. «(ré)Unissons-nous». Revenons à soi, revenons à l’autre donc, surtout devenu virtuel dans la collectivité. Une identité personnelle engloutie par le virtuel, c’est Narcisse ; l’identité virtuelle qui errerait sans l’identité personnelle, c’est Écho. Écho et Narcisse dans cette incommunicabilité, violemment séparés. Écho dont la parole se perdrait à l’infini comme une malédiction, dans une identité virtuelle, invisible à force de multiplicité et de réflexions dans un immatériel où la multiplicité de la parole et sa médiatisation serait plus importante que la parole elle-même …à dessein ? Le matériel est une nécessité. L’autre est une nécessité. Un projet peut être déployé plus vite et plus largement que jamais par le biais du numérique, et tout être désireux d'être actif au sein de la cité globalisée doit nécessairement prendre ce changement en compte. La communauté devient virtuelle. Or il est paradoxalement difficile d’être un citoyen actif dans de telles conditions : depuis qu’il est contrôlé par l’immatériel, le monde s'est élargi et complexifié, les navettes sont plus nombreuses que les pilotes, et rester actif dans la cité matérielle devient un enjeu. En se servant de l’Écho de nous immatériaux, nous existants dans le champ numérique, en ne laissant pas le média-système fabriquer la parole et l’image. Il est nécessaire de s’approprier son image favorable et de matérialiser son action, de l’incarner. La prolifération des réseaux sociaux virtuels entraîne, si l’on ne s’en garde pas, une dissolution des liens sociaux réels, au profit d'un monde artificiel d'individus isolés, domestiqués, …et rendus muets. L’autre, c’est aussi nous. A l’heure des débats sur l’identité nationale, il y a urgence à ne pas tout confondre, image et identité, et à rester maîtres de l’invisible, qui peut mener à l’anéantissement : ne pas devenir sa propre marchandise, ne pas laisser le paraître d’un système l’emporter sur l’être et la réalité, le culte de l’image l’emporter sur le soi. Sans doute faut-il s'aimer soi-même pour vivre et pour aimer les autres. Narcisse ne s'aime pas. La haine de soi, liée à la peur de l'autre, le constitue malgré lui. Il choisit de se replier sur soi-même et donc de s'enfermer alors que la seule solution serait de s'ouvrir à l'autre. Narcisse est muet, passif, conduit à la mort du sujet. Et de la mort du sujet à la mort du politique, il n’y a qu’un pas. Ouvrons-nous à Écho, qui cherche l’autre, devenons le sujet qui incarne la parole. Sortons de l’ombre de l’image virtuelle, approprions-nous l’mage tels des artistes : avec style et dans la recherche, la quête, et de même cessons de répéter de façon parcellaire les phrases qui nous sont proposées : prenons la parole, matérialisons-la.
Et pour faire Écho… : «En astronomie, un écho lumineux est un phénomène analogue à l'écho sonore résultant de la réflexion d'un rayon lumineuxsur le milieu interstellaire parvenant à l'observateur avec un temps de retard sur la source lumineuse dont ce rayon est issu. La condition d'étoile correspond à une situation d'équilibre. Mais il s'agit d'un équilibre instable, transitoire, gouverné par des forces antagonistes et tyranniques. A chaque instant, les étoiles doivent résister à l'effondrement sur elles-mêmes sous l'effet de leur propre poids, en même temps qu'à leur dispersion dans l'espace sous l'action des hautes pressions et températures qui règnent dans leur coeur. Cette tension permanente est le moteur même de l'évolution stellaire. Les étoiles se forment, viennent à la lumière à leur façon. Puis, elles brûlent leur combustible nucléaire et dissipent dans l'espace l'énergie ainsi produite.» Serge Jodra, journaliste scientifique. Les étoiles ont leur chant. Métamorphosons-nous.
Valérie MAiT
(peinture : Myriam Dubrac)
Mots clés : #abécédaire, # echo 1 commentaires Le 2013-10-31 17:03:29 par Frederic Louis Si les étoiles ont un chant tu as aussi le tien... merci pour ce bel article ! |