(image : Sonia Grdovic)

Le temps d'un éclair, croiser un regard  habité d'un feu inquiet et calme et brûlant – dans l'instant se reconnaître l'un l'autre "artistes"– au milieu des gens... des habités d'eux mêmes et seulement d'eux mêmes, des habités, je ne sais pas, par l'argent le pouvoir, par  l'amour  la bienveillance du prochain, ou des habités par  le vide froid et dur, ou juste des habités par rien,  creux tiède et mou....

Cela n'est pas un jugement. Mais il est difficile d'être étranger à son espèce.

Tout à  coup ne plus l'être, étranger.

Appartenir à une autre espèce puisque nous sommes au moins deux que nous nous sommes reconnus :  homo artisticus ?

Non ce n'est toujours pas ça. J'ai croisé tant d'artistes qui ne sont pas mes frères. Parce qu'ils répondent strictement à l'éthymologie ars : habilité, métier, connaissance technique, ou parce qu'ils ne sont habités que d'eux mêmes, ou qu'ils sont habités le pouvoir, ou par  la bienveillance du prochain, ou  du vide froid et dur, etc....

Ce n'est pas un jugement, mais c'est très difficile d'être étranger à son autre  espèce.

Croiser le regard de celui qui brûle d'un feu inquiet, croiser un regard tout aussi inquiet du feu qui brûle en lui.  Qui lutte en dedans, avec et contre lui,  qui vit de lui, qui vit avec lui. Ce n'est pas facile de vivre avec un feu permanent à l'intérieur de soi, il faut le nourrir mais pas trop sinon c'est l'incendie et il nous dévore, aussi  il faut aller chercher de quoi le nourrir et c'est difficile des fois il fait nuit des fois on ne trouve rien, et puis le surveiller, l'oxygéner, avoir du souffle, savoir s'en servir, faire venir des gens autour quand on en est content, quoiqu'il en soit  toujours maintenir sa braise : il est né avec nous et s' il meurt on est mort.

Ce feu a un nom (non non ce n'est pas Symptôme Post Traumatique). 

Je le connais parce que je suis entrée en Tango, cet art populaire qui en est  une maitrise, comme  le Flamenco.

Je connais son nom. Ce feu s'appelle duende. Garcia Lorca l'a démontré poétiquement, donc scientifiquement, en 1933 à Buenos Aires.

Duende, de  dueño : maître, dominus parait -il. "Pour le dictionnaire de l'Académie espagnole (1732), « duende », est le terme commun pour désigner les démons domestiques (trasgos) ; il faut attendre 1956 pour que l'Académie espagnole l'intègre comme « charme mystérieux et ineffable » et le rapporte au flamenco, « los duendes del cante flamenco ». Il y reconnaît dès lors cette disposition spéciale rappelant la transe, où le génie, l'inspiration, qui vient soudainement et tout réussit sans virtuosité à l'interprète musicien, chanteur ou danseur. Pour le poète, le duende naît de la lutte d’un corps avec un autre qui l’habite et gît endormi dans ses viscères." In Wikipédia

La lutte d'un corps avec un autre qui l'habite. La lutte dans le sens de Jacob avec l'Ange.

Aussi ne suis-je pas d'accord avec l'éthymologie admise. Duende vient de daemon, emprunté au grec ancien daímôn, qui signifie plus ou moins « esprit », « génie » ou « familier ». C'est certain. Le daemon n'est pas le maître. Il est l'habitant, le co-locataire. Si vous souhaitez rencontrer celui de Socrate, allez lire Platon "L'apologie de Socrate". Sinon, Kerouac, c'est bien aussi.

Pour moi ne comptent que ceux qui sont fous de quelque chose, fous de vivre, fous de parler, fous d’être sauvés, ceux qui veulent tout en même temps, ceux qui ne bâillent jamais, qui ne disent pas de banalités, mais brûlent, brûlent, brûlent comme un feu d’artifice.

Jack Kerouac

Sonia Grdovic, aux Urbains de Minuit, et de midi