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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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La Chronique Illustrée

 
(image : John Yau)
 
Chronique : Etrange étrangère, par Sonia Grdovic

"Etre ange, c'est étrange, mon ange. Mais il y a plus étrange qu'être étrange..."

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Etrange étrangère

(image : Piero di Cosimo, 1500, huile sur bois)

 

Etre ange, c'est étrange, mon ange.

Mais il y a plus étrange qu'être étrange,  car au moins, l'étrange est (merci infini à Jacques Prévert).

Etre âne est plus étrange qu'étrange, car êtrâne, ça n'existe pas.

Passer de l'état d'âne à celui d'ange, c'est tout le travail des enfants d'étrangers, les enfants d'immigrés on les appelle.

Nos états d'âmes : avoir pour identité le nom du père, ou la couleur de la peau héritée, qui nous fait étranger au pays de la mère, et dans le même temps une mère qui nous rend étranger au pays du père.

Ainsi mon être est d'être étrangère : jamais ceci, jamais cela.

Et au fonds n'être jamais aussi bien que quand je suis vraiment ailleurs : complètement ailleurs. S'y sentir totalement soi,  étranger, sans langue natale commune, sans repère, sans mère, sans hérédité, sans devoir ou manquer  d' être ceci ou cela. Oui, ailleurs, loin des bizarreries quotidiennes que nous renvoient ces êtres "nés quelques part" avec leurs certitudes,  leurs identités assénnées, leurs assurances d'être des enfants du pays  (alors que fille du quartier, franchement j'ai toujours aimé, chère grande ville).

Bien sûr je vais apprendre ta langue, ta culture, oui je désire tant que tu apprennes la mienne oui, toi qui est au moins aussi étranger que moi.

Mais surtout et avant tout : on va se taire boire sourire rire manger, se toucher, danser dessiner, ensemble,  et regarder la beauté du monde.

Blabla tais toi. Je suis née étrangère et muette,  toujours je serai  en deça de la langue, en dessous, avant les mots.

Avec l'éternelle nostalgie de ce petit village où autour de la cheminée je n'ai jamais été des leurs, eux qui étaient les miens.

Une Ulysse impossible, sans terre première.

Tout est à inventer, et moi la première, tout est à comprendre, tous les jours,  dans cette France où je suis née juste parce que mon père y a stoppé sa route : une odyssée sans retour car sans départ, juste un début et une fin, et c'est bien.

Le non dupe ère, comme dirait l'autre.

 

 

Sonia Grdovic, aux Urbains de Terres et de Mers

 

 

 

 

 

 

 

 

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