En dehors du langage, en deçà du langage, avant le langage et la culture, il y a l’image. Elle est car elle est celle du rêve, un rêve projeté vers l'autre qui tisse avec celui-ci un lien d'empathie.
Empathie (ressentir à l’intérieur la souffrance de l’autre) est un mot créé en anglais par Theodore Lipps. Ce terme découle de l’allemand einfühlung (ressenti de l’intérieur), créé en 1873 par Robert Visher, philosophe, pour désigner l’empathie esthétique (mot qui vient du grec aisthesis (sensation)) : le mode de relation d’un sujet avec une œuvre d’art, permettant d’accéder à son sens ; pour Lipps, le processus par lequel un observateur se projette dans les objets qu’il perçoit. Cette notion s’est développée dans les sciences humaines en « théorie de l’esprit », et dans les neurosciences en « neurones miroirs »
Qu’est-ce que la théorie de l’esprit ? Les psychologues nomment ainsi la capacité d’attribuer à autrui des intentions, des croyances, des désirs, des représentations mentales différentes des siennes en se simulant dans la situation d’autrui, puis à lui attribuer les résultats ainsi obtenus. Cela complète la notion d’empathie, limitée à la lecture de l’émotion de l’autre.
On ne questionne pas assez le processus de création de l’image par l’artiste. Image dans le sens d'« art visuel ».
Nous mettre à la place de l’autre, deviner, devancer, s’approprier ses intentions, ses émotions, son comportement, à partir de l’observation : toutes ces caractéristiques, à l’origine du concept d’empathie, sont constitutives du processus de création : un artiste ne crée pas sans se questionner sur les conditions de la réception de son travail par le regard de l’autre.
Pourtant, curieusement l’artiste a été balayé de ce champ de recherche. L’étude de l’empathie chez le chimpanzé, le petit enfant, l’autiste, oui…L’artiste, disparu ! L’art, disparu ! Déplacés sur d’autres terrains. Alors que l’art ne parle que de ça. Une œuvre est maîtrisée quand elle traverse l’autre, et que l’autre s’y reconnaît. L’empathie y circule dans plusieurs sens, de l’artiste à son sujet, de l’artiste au regardeur, en passant par l’œuvre, et du regardeur à l’oeuvre, qui l’ayant traversée revient à soi-même, légèrement autre. Ceci n’a rien d’une illusion. C’est une expérience d’art.
Réussir à exprimer l’inexprimable, commun à l’autre comme à soi, c’est le travail de l’artiste. L’empathie, la théorie de l’esprit, les neurones miroirs, tout ça fait partie du métier, pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Si l'artiste fait des objets qui ne parlent que de lui, il échoue. S’il fabrique des objets qui sont des instruments de domination, comme il y en a quelques-uns à Nice (au hasard...), il est condamnable. L’art est aussi un outil d’assujettissement, et la citée ne fabrique pas exactement les mêmes individus quand elle les fait vivre avec cette représentation :
ou avec celle-là :
Sonia Grdovic, aux niçois qui mal y pensent.