ci dessous : Père Paul Whitehead with Eric Caligaris, Gianni Marsiglia

Que voyons nous sur cette photo ? Trois hommes. Bon.

Ces trois hommes là ne sont pas égaux en Occident chrétien : car l'un d'entre eux est visiblement prêtre. Visiblement. Ça veut dire qu'en plus d'appartenir à l'Église, il fait un choix qui va contre la laïcité : il l'affiche. Il s'en fiche.

Or, dans l'Occident chrétien un prêtre en costume ça fabrique un truc : une déférence, un pouvoir, une distance, quelque chose.

Enfin, ça, c'est ma lecture, selon mon code culturel...

L'un de ces hommes, le prêtre, c'est Paul Witehead. Artiste. Surréaliste. VRAIMENT surréaliste. Gilbert Donzel, qui nous le présente nous dit "Mais non, il est pas prêtre ! Il est fou !" Ce qui, de la part de Donzel, impose le respect.

En plus Paul Witehead est anglo saxon.

Bon. Il s'assoit. 

J'ose lui poser cette question : "Pardon, vous êtes mmh... comment dire... vraiment prêtre ?"

Il enlève son col, le pose sur la table : "Ceci est un objet, un accessoire,  je le mets à ma fantaisie ou selon le besoin, voilà tout.

- Ah, alors vous n'êtes pas prêtre.

- Si, je suis prêtre.

- ...vous n'êtes pas prêtre et vous êtes prêtre : vous êtes américain quoi... (même pas, il vit aux USA mais il est anglais).

- J'ai une Eglise : je suis officiellement prêtre. Je suis Father Paul, de The Church of the Immaculate Transmission, Los Angeles, voici mes cartes".

Il me tend sa carte d'artiste et sa carte de prêtre.

Comment vous dire qu'à ce moment un vertige cartésianiste mode franco-catholique-fille aînée de l'Eglise me prend....?

- ?! Mail Order Church ! What the hell !!!?"

Mes biens chers Urbains, vous qui avez toujours rêvé d'être prêtre, de temps en temps, et de faire votre effet dans les soirées mondaines... ne dites pas le contraire je le sais !  Vous n'avez pas envie de vous emmerder avec les corvées de la prétrise... l'Amérique a pensé à vous . L'Amérique pense à tout. 

En 1997, le Révérend David Ford ( Georgie) a créé la First International Church of the Web (FICOTW). (Attention, je vous vois venir, hommes de mauvaise foi, Brother Dave  participe par ailleurs au culte dominical  dans sa ville, il n'est pas (qu')une  fiction  virtuelle !)  "Faites-vous ordonner pasteur en trois minutes seulement", proclame la célèbre Universal Life Church ! Combien l'Amérique contient-elle de religions sur son territoire, combien en a-t-elle exterminées, combien en a-t-elle accueillies, synchrétisées ? Au delà de la saturation, elle continue avec les mail order churches : les Eglises par correspondance.

Je suis dans l'incapacité de penser le contenu signifié, signifiant, du réel (ici du sentiment religieux au sein d'une "église") atomisé, virtuel et diffracté, que nous fabrique l'Amérique. Je n'ai pas, malgré la grande familiarité qu'impose l'impérialisme culturel américain, de capacité à penser cela.

Le vertige vous dis-je. Se servir d'un code visuel autoritaire, fort et pré-existant, quel qu'il soit, pour inventer son propre jeu, est un geste totalement anarchiste et irrévérencieux. Mais créer sa propre Eglise en maintenant les codes anciens, contre lesquels les laïcs se battent, comme par exemple le costume religieux dans l'espace public, donc recréer de la structure et de la hiérarchie, de plus virtuelle, me paraît un acte de pouvoir individuel démesuré, désacralisant. Or se sacraliser par un acte désacralisant est une démarche pour le moins douteuse, qui s'appelle dans ma culture un oxymore.

Cette rencontre avec Father Paul Whitehead fut, pour toutes ces reflexions, une pure expérience socio/ethnologique : l'autre m'y a été absolument étrange, familier et étranger, abyssalement  inatteignable, et pourtant si apparemment semblable.

Le vertige vous dis-je.

Sonia Grdovic aux Urbains de Minuit

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