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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Littérature numérique : L'écrivain(e) dans le placard

Un site, ça se visite peu ou prou comme une maison. D'un œil rapide, on parcourt les pièces principales. Installerait-on le bureau à côté de cette fenêtre ? Le fauteuil dans cet angle ? Le frigo entre ces deux piliers ? Le lit dans cette mezzanine ? Où sont les toilettes ?

On voit tout de suite les lieux où l'on se sentira chez soi. Il y a aussi les lieux que l'on visite sans ennui mais dans lesquels on n'a pas envie de revenir. Puis il y a tous ces lieux inhabitables, ruines abandonnées depuis trop longtemps, désertées même par les chiens errants, vitrines conçues pour être montrées, regardées, photographiées, mais inhospitalières, et pire, tous ces endroits lugubres traversés de souffles, d'ombres, de silhouettes furtives, remplis d'un épais silence que perturbent de loin en loin un claquement de porte, un grincement de plancher, peuplés de fumées à forme humaine qui font sortir une longue plainte sinistre par le trou de leur bouche vaporeuse. J'habite l'une de ces maisons hantées. Ou plutôt, j'ai un texte hébergé par l'un de ces sites.

Un texte de Littérature.

Tout ce qu'il restait, en août 2013, de mon Grand Roman, celui qui devait me permettre de régler mes comptes avec la médiocrité, de changer de vie, de grimper sur les épaules de Céline, d'aller m'asseoir sur les genoux de Chevillard, d'accéder à la postérité, et de me faire enfin pardonner de ne pas être devenue une espèce d'Amélie Nothomb à dix-sept ans, désolé maman. Non seulement ce texte n'a pas l'envergure nécessaire pour réparer mes innombrables blessures narcissiques, mais il est aussi bien en dessous de mes ambitions plus modestes.

Ce qui devait être un roman a fondu aux proportions d'une nouvelle. Imaginé avec deux voix, il n'en reste qu'une, celle d'un homme couché, trop orgueilleux pour s'avouer qu'il n'arrive plus à se lever. Il monologue pour se convaincre des qualités et des vertus de sa position, la position décubitus, et en veut furieusement à tout ce qui est debout. Aussi amusantes que m'avaient paru, à l'écriture, les divagations prétentieuses et absurdes de ce personnage, j'avais bien conscience que ce n'était pas suffisant pour faire un roman. J'avais donc rajouté une seconde voix, celle d'une sentimentale bavarde qui se rend régulièrement au chevet de l'apathique pour lui demander un amour qu'il refuse obstinément de lui donner. À la relecture, cette seconde voix m'était apparue insupportable : je l'avais supprimée.

Tout comme mon Grand Roman, mon Grand Éditeur s'est réduit à peau de chagrin. Après m'être fait refuser la version initiale du texte par Minuit et Verticales, je l'ai laissée dormir dans un tiroir pendant plusieurs mois. Jusqu'au jour où j'ai découvert Bookstory. Le site se présentait comme une boussole éditoriale : c'est exactement ce qu'il fallait à une plumassière paumée de ma catégorie. J'ai envoyé mon texte raccourci, j'ai été lue par un comité, j'ai signé un contrat d'édition numérique, et je suis allée rejoindre les spectres d'écrivains qui, comme moi, hantent internet en rêvant d'être édités.

« Éditez-Môaaaaaah » : Notre cri lugubre résonne aux quatre coins de la toile. On nous entend chez lulu.com, chez inlibroveritas.net, chez bod.fr, et ailleurs. Nous réclamons d'être édités car c'est le seul moyen de renaître, d'accéder à la vie, de devenir quelqu'un, de rejoindre enfin le monde de nos véritables pairs. Animés par la profonde conviction de ne pas être de vulgaires gratte-papiers (ou plutôt, devrait-on dire, d'insipides tape-claviers) mais d'authentiques écrivains singuliers et talentueux, nous harcelons les internautes dans leurs messageries et dans leurs fils d'actualités pour qu'ils nous téléchargent, nous lisent et nous commentent. Ce n'est pas tellement que nous souhaitons être lus. Ce que nous désirons, ce que nous exigeons du plus profond de nos spectraux viscères, c'est être édités. Et il n'est pas impossible que dans les lecteurs qui cèdent à nos lugubres mélopées, par terreur, par pitié ou par dégoût, se dissimule un passeur de l'entre-deux-mondes, c'est-à-dire un éditeur.

John Kennedy Toole, l'auteur de La Conjuration des imbéciles, s'est suicidé parce qu'aucun éditeur n'avait accepté son manuscrit. C'est bien la preuve qu'il se foutait d'écrire, qu'aussi jubilatoire et inventive que puisse avoir été son écriture, elle ne l'amusait pas. La seule chose qui l'intéressait, c'est d'être édité. De fait, on écrit quand on n'a vraiment plus rien d'autre à faire.

On écrit quand le dîner a été pris, la vaisselle rangée, le pyjama et le bonnet de nuit enfilés, et qu'il reste une heure à meubler avec une activité qui ne perturbe pas le sommeil. On écrit quand l'évasion a tourné court, que le passeur nous a vendu, que le tunnel s'est effondré, que la meute de chiens a été plus rapide. On écrit quand toutes les provisions ont été mangées et qu'on est las de lancer des cailloux dans des boîtes de conserve vides pour se distraire de la faim en attendant les secours. On écrit quand tous les anniversaires, mariages, divorces, enterrements, naissances, crémaillères, départs à la retraite, bacs réussis, permis de conduire obtenus, fête des mères, des pères, des grands-mères, et premières communions ont été célébrés, qu'il n'y a vraiment plus aucun prétexte pour sortir le champagne, et qu'en plus la télé est en panne.

 

Mon texte s'intitule Décubitus de l'apathique. Vous pouvez le télécharger ici : http://www.bookstory.fr/livres/decubitus-de-lapathique-0

Lisez-le, et surtout commentez-le.

Au plus il y aura de téléchargements et de commentaires, au plus j'aurai des chances de me faire éditer.

 

Animande

 

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Numéro : 40 -