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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Fake...et après ?

 

Fake ? et après...

Oui, cette image est un Fake, et après...

"Mentez, mentez il en restera toujours quelque chose" disait Voltaire. Il est utile de rappeler que l'une des  premières tentations avec l'arrivée d'internet, après le cul et les messages de haine, fut le mensonge, la calomnie, la manipulation. Au fond, à quelques détails près, internet ressemble à cette vieille porte craquelée des toilettes de la caféréria de la  fac de Nice boulevard Carlone: "je suce au 04 .. .. .. ..", "mort aux ...", "les......n'ont jamais existé", "dieu est Amour", "...je t'aime"... Il fallait chercher longtemps  quelques rares phrases poétiques ou quelques vérités utiles, mais le subtil fumet du lieu ne favorisait pas la visite prolongée...

Maintenant, depuis que la porte de toilette est devenue cosmoplanétaire...et bien, ça n'a pas tellement changé, sauf que le stylo bille numérique ne s'efface jamais vraiment.

Tout est parti de la publication sur un réseau social que je ne nommerai pas mais qui commence par F et qui finit par K (comme fuck...), de cette photo bidonnée ou "fake" comme ils disent accompagnée de la "vraie" photo de notre BHL international en train de se faire immortaliser au milieu de cet amas de tôles et de sacs de sable censé représenter l'Ukraine, ce que confirme ces quelques banderoles jaunes et bleues venant à point nommé, car précisément sans elles nous pourrions être n'importe où...

Je ne veux pas accabler BHL, il n'a d'ailleurs pas besoin de moi pour ça, ce n'est pas ici mon propos. Une internaute bien intentionnée commente la photo ci-dessus et dit en substance :" c'est un fake, vous n'avez pas honte de colporter de images fausses, puis c'est tellement facile de s'en prendre à BHL...". Certains autres intervenants on fait remarquer qu'il y avait les deux photos, la "vraie", la "fausse" ce qui laissait du grain à moudre à notre esprit critique, d'autres on objecté qu'en substance ces deux photos étaient deux mises en scène et que si l'une était "fake", l'autre ne possédait pas les vertus de la vérité pour autant. Enfin certains ont convenu que dans l'une et l'autre photo le plus important  était notre bon BHL planté au beau milieu, comme le petit Jésus dans la crèche, et que pour être "Fake", la photo bidonnée n'étais pas moins porteuse de sens.

Qu'importe ! la photo était un fake, c'était de la calomnie, de la désinformation et cela ne se faisait pas !

Tout technologie s'accompagne de tics, de jargons, de réflexes insupportables, mais ce qui se joue là avec cette histoire de "Fake" est, je crois, plus préoccupant.

Toute image est image de quelque chose, ce quelque chose, cette vérité, ce présent, cette chose en soi que nous tentons de saisir mais qui nous échappe. Tout image est donc fausse, mais un nécessaire reflet qui tente de fixer la vie. Tout est question d'intentionalité au fond. Mais taxer une image trafiquée de fake ou fausse (alors que l'intention était précisément de montrer qu'entre la vraie et la fausse photo il n'y avait pas de différence) c'est par un glissement de sens, accorder à l'image d'origine un caractère de vérité, non par vraie dans le sens "d'originale" ou de "première", mais vraie, absolument vraie.

S'il avait le temps entre deux clichés, notre philosophe nous le dirait, ceci est un procédé de glissement de sens qui est propre à la sophistique (http://fr.wikipedia.org/wiki/Sophiste ); construire à partir de quelque chose de faux quelque chose de vrai, mais qui en fait est seulement vraisemeblable. La dénonciation du fake est donc devenu une pratique porteuse de Vérité, faiseuse de Vérité, tout ce qui n'est pas fake est Vrai, Vrai d'une Vérité absolue qui ne supporte pas la contadiction. Bonne aubaine pour notre Tintin...euh pardon BHL en Ukraine, il n'en attendait pas tant, car il sait bien que vraies ou fausses, seules les images restent...

Il y a deux paradoxes à relever dans cette histoire : d'abord plus c'est artificiel, plus c'est vrai

Comment saisir le conflit en Ukraine ? par une photo BHL-isée ? On peut se dire, "si il y était c'est qu'il y avait une guerre". Comment toucher du doigt la vérité ? Sans doute par deux, trois clichés d'un photographe de talent y parviendront, comme un Capa pendant la guerre d'Espagne dont les clichés d'une beauté presque dérangeante sont plus porteurs de sens que tout discours. Artifice, artifice assumé qui dit mieux la vérité que toute véracité poussive. Pour moi, par exemple "Full métal Jacket", le film de Kubrick en dit plus long sur sur la guerre du Viet-Nam que tous les documentaires, surtout cette dernière séquence où l'infâme sniper qui mobilise et tue tous les hommes pris aux piège dans les décombres de cette usine, s'avère être un frêle fille seule et poussée par l'énergie du désespoir. 

http://youtu.be/4XNyNAjF1m0 

 

Malgré les polémiques sur cette photo de Capa, sans doute montée de toutes pièces,

elle n'en demeure pas moins l'image phare de la Guerre d'Espagne

 

Ainsi la vérité, le réel, n'est jamais mieux servi que par les artifices des artistes, des créateurs, alors que les vérités postiches ou pastiches de nos télé-réalités justement, plongent tout évènement banal dans une irréalité nocive.

Cette histoire est vraie puisque  je l'ai inventée "                                                                                                                                                                                                                Boris Vian

 

Deuxième paradoxe:

A vouloir fixer la vérité contre le faux, par une sorte de prolifération des images on multiplie les faux, les doubles, les copies. Chercher la vérité à tout prix et lui donner une valeur particulière, la diviniser presque, c'est par effet d'imitation, faire proliférer les images et donc les fake ou faux, car il tourne toujours autour de tout point fixe, des sattelites comme des echos ou images de plus en plus dégradées du modèle jusqu'à la caricature de celui-ci et l'indifférencié. Pauvres Vénus de Milo en plâtre au bord de routes sablonneuses de Grêce qui mênent aux vestiges antiques pour quelques années encore... A quoi rêvent-elles ?

C'est comme dans "Tintin et l'oreille cassée" de Hergé avec la statue Arumbaya. L'oreille cassée était garante de l'originalité de la première Statue dans laquelle est caché un diamant de grande valeur. Mais cette statue voit proliférer des doubles et des copies, avec l'oreille cassée évidement (comme certificat d'authenticité), si bien que la recherche du diamant s'avère impossible et que l'original a disparu depuis longtemps, submergé par ses doubles. 

Evidement, je n'invente rien et j'emprunte cette analyse à Clément Rosset et son "Réel, traité de l'idiotie" (éditions de Minuit) en appendice duquel un petit texte d'une rare qualité, est consacré à "l'oreille cassée". la plume de Clément Rosset est pour moi une des plus belle qui soit et ce petit texte est un petit bijou à côté duquel justement le volumineux diamant fiché dans la statuette originale, figure un pâle morceau de verre taillé.

"Quel enfant sourd ou quel nègre fou  

Nous a forgé ce bijou d'un sou

Qui sonne creux et faux sous la lime " 

fragment de "Art poétique" de Paul Verlaine

Barricades de Maidan, la vraie photo ouf : enfin LA VERITE !

Pour aller plus loin dans la vie et l'oeuvre de BHL, la video de  Agence Info libre très intéressante aussi  

 

 

 

F.L aux nicois qui mal y pensent

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Numéro : 30 -