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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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La Cave Romagnan de Manu Linares, Nice

Rencontre

Rue d'Angleterre, au troisième étage, il y avait, côté cour en contrebas, des toits ondulés en plexi bleus-verts qui, certains soirs arrosés et myopes, paraissaient un Nicolas de Staël. Côté rue et à deux pas de chez mon ami, il y avait la devanture de la cave Romagnan. La rumeur qui en sortait certains soirs, les éclats de voix et ceux des verres, n'incitaient pas les deux jeunes puceaux de bars que nous étions alors à pousser la porte déjà fatiguée et à se ficher au comptoir. C'était fin 80, début 90 - toutes choses se méritent, et le temps pour cela, fait parfois bien les choses.

J'avais 17 ans et je venais chercher mon meilleur ami en mobylette, pour le camaler* jusqu'au Vieux-Nice où nous allions, à coup sûr, devenir des hommes.

Mon meilleur ami est resté mon meilleur ami, ma mobylette s'est évaporée dans les brumes de l'oubli à l'odeur du mélange de temps - et la Cave Romagnan est restée là, comme une vieille maitresse patiente.

J'ai rencontré Manu Linares par la conjonction d'une cave et de la musique. La Cave, non pas Romagnan, mais Wilson (http://www.lesurbainsdeminuit.fr/coups-de-coeur-et-autres-coups?ac_id=3827), sa soeur siamoise (rue Gubernatis, celle d'avant 2003), où j'avais "mes habitudes" et où Manu venait de temps en temps, en confrère, vider un godet, tâter la température et repartir aussi discret qu'on le connait vers sa rue d'Angleterre. Ayant hérité de la cave quelques années auparavant, Manu ne se sentait pas l'âme d'un "vendeur de limonade", s'ennuyait ferme et rêvait de faire de sa Cave "quelque chose d'autre".

Un soir que nous massacrions quelques standards de jazz à la Cave Wilson avec deux ou trois amis (vers décembre 2000 je crois), Manu passe par là, constate qu'on peut faire de la musique (ou ce qui y ressemble) dans un si petit endroit, rameuter du monde et mettre l'ambiance. "ça a été mon déclencheur", m'a dit Manu un jour,  mais rassurez-vous mon influence s'arrête là ! Après un rendez-vous manqué, Bardamu (mon groupe) faisait le deuxième concert de Jazz à la Cave Romagnan (le premier fut le collectif Nice Arte). L'aventure commençait pour ne pas s'arrêter.

 

La Cave

Pour ceux qui ne connaissent pas l'endroit ni l'histoire, passant à travers moultes péripéties, procès, tracas administratifs, la Cave Romagnan est devenue et reste un lieux incontournable du jazz à Nice, ayant accueilli  les meilleures formations de la côte d'azur et d'ailleurs (d'ailleurs). Des grands musiciens y sont passés, insufflant même la possibilité d'une scène jazz niçoise pérenne (comme le Shapko et autres), populaire et accessible (financièrement aussi). Combien de musiciens peuvent (ou devraient) remercier Manu pour son acceuil, le respect qu'il leur est toujours réservé et les appointement plus que réglos, même quand la Cave perd de l'argent certains soirs de jazz - mémorables pour les spectateurs, embarrassants pour Manu, mais qu'importe, le spectacle continue ! Ceci dit entre nous, lorsque je vois arriver dans le sillon de certains groupes, une nuée de fans ou des divas d'un soir dont le jazz seul a les secrets, et que cette faune, esgourdes et yeux grands ouverts en plein milieu de la cave, n'a pas la décence de mettre une seule fois la main au porte-monnaie, acheter une conso, donner pour les musiciens, la râge me monte, et je ne sais pas comment Manu contient la sienne. Je ferme la parenthèse !

Que cet endroit soit devenu ce qu'il est, cela tient du miracle sans doute, de ces miracles humains plus que divins qui sentent bon le travail, l'ouverture, l'écoute, l'humanité et cet équilibre si particulier entre les silences et les notes, entre tension et relâche que Manu a su distiller. Du pur jazz quoi !

Une anecdote me revient, contée par le taulier lui-même. Un groupe de jazz québécquois avait gagné un concours dans son pays. Le prix : une mini-tournée en Europe dans les clubs que les musiciens eux-mêmes  devaient se débrouiller de trouver. Les promoteurs du concours payaient le reste. Le groupe contacte Manu, qui accepte malgré son agenda chargé. Et les voilà qui débarquent de leur "belle province", jusqu'à la rue d'Angleterre, dans ce petit bar de quartier, avec ses joueurs de cartes. On peut imaginer la surprise mêlée de dépit de nos musiciens qui avaient vu tant de pointures jouer ici en se renseignant sur internet. La réputation du lieu avait franchi les océans et le concert n'en fût pas moins magique !

 

 

L'homme

Derrière le patron de bistrot et le programmateur de jazz, il y a l'homme évidement. L'homme et ses deux yeux bleus qui jouent, vous évitent et semblent scruter un ailleurs. Mais quand ces deux yeux bleus vous fixent, vous pouvez alors penser au nombre de regards qui dans votre vie ont su se ficher dans le votre - et franchement il n'y en a pas beaucoup. Manu peut être taciturne, ombrageux et déteste une chose : qu'on essaie de lui plaire. Il est un peu un animal qui vous apprivoise. Chez le petit Prince, il serait mi-serpent, mi-renard. Quand il vous donne sa confiance, alors vous ne pouvez plus douter qu'il y a quelque chose de profondément bon, beau et juste dans ce monde, quelque chose d'une noblesse homérique qui aurait perduré.

Si, au détour des conversations, vous entendez parler de l'Inde, de l'Iran, des marbres de Carrare, d'un saxophone Selmer couleur argent, alors levez la tête à droite et regardez en haut des étagères le buste de Louis Amstrong : vous en saurez un peu plus sur le personnage. 

Moi qui ne vit plus à Nice depuis trois ans, lorsque j'y redescends, j'essaie de faire trois choses : aller voir la mer, aller voir mes montagnes de l'arrière-pays, et passer chez Manu, Cave Romagnan, car je sais, je sens, que j'y suis profondément à ma place et qu'une place m'y attend.

 

Une soirée idéale à la Cave Romagnan ? ****

Ce serait un Samedi, il y aurait du monde, quelques visages amis que je reconnaitrais, ma petite place qui m'attend sur le retour du comptoir, à côté de Christophe l'architecte. La moustache de Gilbert** qui, en bon grimpeur/descendeur, aime à prendre le virage du comptoir à la corde et sans visibilité. Sonia***, qui n'aurait pas manqué de se faire inviter à danser pas César. Pour ma part, je laisse volontiers les gesticuleurs gesticuler, les parleurs parler et les danseurs danser.

Sur scène, il y aurait le sourire de Jean-Luc Dana, de Deborah de Blasi, le punch de Thomas Galliano, la finesse de Yoan Serra, Lolo Belonzi, Laurent Sarrien. Mais aussi Marc Peillon, Fabrice Bistoni, Tony Sgro, Jafet, Tardevet. Le be-bop droit dans ses bottes de Seb Chaumont, le talent fou et l'éclectisme de Fred D'Oelsnitz et Selim Nini, la classe de Ronnie Rae Jr, de Ryoko Nuruki, les fulgurances de Jean-Marc Baccarini. Il y aurait aussi François Chassagnite, qui nous manque en tant que musicien, mais surtout en tant qu'homme.

Un demi me tombe sous les yeux sans que j'ai rien demandé, je lève la tête, Manu me sourit :

 

MUSIQUE !

 

 

F.L.

 

http://caveromagnan.free.fr/index.html

https://www.facebook.com/JazzChezManu.CavesRomagnan?fref=ts

http://www.lesurbainsdeminuit.fr/portraits-des-urbains?action=detail&sp_id=COM1900f8a4b9892762d78177dff33b9ee8b

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* Camaler ou cambaler, deux écoles: comment dire... Transporter un ami derrrière la moby ou sur le cadre du vélo, à la place du panier à commissions... Faut être amis pour supporter ça !

** Gilbert d'Alto: http://www.lesurbainsdeminuit.fr/portraits-des-urbains?action=detail&sp_id=COM1f1938da190a315bf518bb5377e0eebb7

*** Sonia Grdovic: http://www.lesurbainsdeminuit.fr/portraits-des-urbains?action=detail&sp_id=COM1221b6163459a947c2dffd7f3939fda2d

****  Cher lecteur comme tu l'as fait remarquer dans les commentaires, il y a aussi les soirées Slam, café philo, open mic. les expos peinture, photo etc...etc...

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2 commentaires
Le 0000-00-00 00:00:00 par Jay Cee
le miracle continue pour ça MERCI
Le 0000-00-00 00:00:00 par
Ce que je viens de lire est une merveille et tellement vrai sur Manu , sur le lieu les soirées slam auxquelles je participe et la journée les vieux chibanis qui viennent jouer aux cartes un bar de quartier oui mais un lieu humain où l'humanité se croise !!!!!!!!
Numéro : 41 -