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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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A l'école du zinc

 

Entrer pour la première fois dans un café inconnu. Entrer pour s'y réchauffer, boire un expresso, sentir les regards se retourner, les discussions se taire. Un intrus dans la maison, un emmerdeur peut-être dans cette commune libre du comptoir, aux codes complexes. Hétérotopie, équilibre instable d'une équipée de bistrot qui peut soit conduire à l'abjection grossière, soit, si les Dieux de l'Ivresse sont propices, à la poésie du zinc ...au fonds on n'a que les cafés qu'on mérite.

Un jeune singe et un vieux singe...

Février, je rentre sur la pointe des pieds et pour la première fois comme si de rien, je referme la porte de bois bleu et vais m'installer un peu à l'écart, commande un café, la discussion reprends son cours...

Les bars, les cafés, les bistrots c'était le coin des rues, lieux de passage, lieux de croisements. Aujourd'hui souvent les coins des rues ont viré les cafés pour des banques, triste présage des temps où l'homme de la rue espère plus l'obtention d'un crédit, qu'un miracle au bout du comptoir. Puis les bistrots eux aussi ont pris des allures de succursales de sécu, se sont "allo(u)ngées", ont allumé les télés,  monté le son des radios pour ne plus qu'on s'entende.

Entrer dans un café ancien, épais, une institution populaire, c'est intimidant. Vous n'êtes attendu par personne. En grand timide et en novice, je suis allé dans mon bar de coeur presque un an sans parler sauf les formules d'usage évidement et j'ai appris à écouter. Écouter la routine du matin, la ritournelle des habitués, le balais des "pressés d'aller bosser", puis d'heure en heure comme s'égrénant à l'épreuve du temps qui passe restent ceux qui n'attendent rien, ils sont là où là ils doivent être, ils sont l'âme du bistrot, ils sont chez eux...Puis venait le point d'orgue de la journée, la dernière heure avant la fermeture, un crépuscule flamboyant où tout tournait en démence, temps suspendu, allégresse alcoolisée pressée de ne jamais finir, franche rigolade, éclats de rire joyeux, joyeuse équipée d'une odyssée immobile. Le comptoir ? Un radeau de la Méduse ! Mais bientôt c'est l'heure,  on ferme...et à demain matin !

J'ai connu celui d'avant 2003, après je juge pas...

___

Écouter, écouter ce que les gens ont à dire, laisser finir, donner sa place au silence, aux regards, aux sourires, aux trémolos dans les voix, aux yeux embués, c'est l'utopie du bistrot. Par réserve sans doute, et un peu en retard dans les consommations, j'étais prompt à écouter toutes les histoires, relancer de quelques mots quand il le fallait et les gens se confiaient à moi, j'avais à présent un prénom, des habitudes, je faisais partie des meubles, puis à mon tour, je me suis mis ... à parler aussi.

Écoutez ce besoin comme une urgence qu'on les gens de parler dans les bistrots, pas à confesse, pas chez le psy, AU BISTROT . C'est un processus libératoire, et pour celui qui écoute une grande richesse. Ça ne vole pas toujours très haut il faut le dire, mais parfois les miracles arrivent, les masques tombent. C'est beaucoup de pudeur, des faiblesses avouées, de ce bonheur de vivre tout simplement, et cette difficulté d'être. Au comptoir où les verres, fêlés comme les hommes laissent passer des lueurs...*

Rien n'a remplacé le Café "à la française" qui est vraiment particulier, il suffit de voyager pour s'en rendre compte, et rien ne le remplacera. C'est un lieu à réinventer toujours , une volonté de patrons de bistrot, un talent aussi, car c'est le taulier qui donne le LA. Ce n'est pas facile que de mettre au centre de tout la parole, les hommes, l'écoute, c'est déjà un pas vers plus de tolérance, et une vague idée du bonheur qui sent bon la noisette, l'anis, le raisin, le houblon, le malt...l'humain quoi ! Le bistrot est une bonne école pour l'apprendre.

C'est ma tournée, santé !

F.L.

 

*honteusement inspiré de "heureux les félés car ils laissent passer la lumière" Michel Audiard...tant qu'à pomper !

 

Mots clés : #bar, #
1 commentaires
Le 2014-02-22 16:59:25 par
Excellent , et bien écrit. Et très vrai aussi.
Numéro : 29 -