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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Les Temps du Présent (de l'indicatif)

Tout vient des grecs. Même le  présent. Mélange de Khronos, Kairos, et Aion.

Khronos est le dieu primordial du temps linéaire tragique, celui de la destinée. Apparu à la création du monde, fils du Ciel et de la Terre, haïssant son père comme sa mère, il enlace son épouse Anankê, déesse de la nécessité et de la fatalité, autour du monde-œuf. Cela fait un beau couple. Qui fera de beaux enfants, que Khronos dévorera ; tous sauf Zeus qui échappa à la violence de sa haine, ce qui le rendit le plus fort de tous les dieux.

Le temps du dieu Kairos est celui de la circonstance, toujours en mouvement, au point du basculement décisif, avec un avant et un après. Il est la condition de l’action réussie parce que réalisée au bon moment. La réussite tient à presque rien. Kairos est représenté par un jeune homme qui ne porte qu'une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre proximité, il y a trois possibilités : 1) on ne le voit pas ; 2) on le voit et on ne fait rien ; 3) au moment où il passe, on tend la main pour saisir sa touffe de cheveux et on saisit ainsi l'opportunité, on "est de mêche" avec le temps. C'est le main - tenant.

Aiôn est plus tardivement la personnification de la durée de la vie illimitée, l' aeternitas de la Rome antique. Ce concept est développé par Jung et Deleuze.

Ces valeurs temporelles passées se sont lovées dans notre présent conjugué : si commun, si simple, tellement au centre de notre système verbal qu'on ne le voit plus, qu'on ne le pense plus.  Le présent de l'indicatif contient ainsi et non exhaustivement,  le ponctuel, l'atemporel, l'omnitemporel, et même,  le futur.

Je le prouve point par point.

  • présent actuel ou présent « de base » . Par ex : là maintenant, je vous attends. Le fait est vrai à l'instant où il est exprimé. Kairos.
    • présent instantané ou ponctuel  : Je vous attends . Très joli pour les verbes performatifs. Les verbes performatifs, est-il besoin de le rappeler, permettent, lorsqu’ils sont énoncés à la première personne du présent, d’accomplir l’acte qu’ils désignent, dans des phrases du type : J'attends , je le jure, je danse, je te pardonne. L’action se fait au moment où elle est exprimée. Kairos toujours.
    • présent étendu : je t'attends (= pendant combien de temps qui le sait ?). Aiôn.
  • présent de répétition : dans le cas où l’action se répète.
    • Je t'attends chaque jour. Il s’agit ici d’intervalles réguliers ; la périodicité est précisée. Khronos.
    • présent  à valeur d’habitude : Je t'attends c'est ainsi. Il s’agit là d’une tendance. Aiôn.
  • présents omnitemporel et atemporel :
    • présent omnitemporel : il s’agit d’un présent vrai à toutes les époques. Je t'attends  comme deux et deux font quatre. Ce présent a un lien avec le présent de vérité générale. Bien souvent, le présent omnitemporel échappe à la concordance des temps. Aiôn.
    • présent atemporel : Est-ce que tu viendras ? Khronos
  • présent de narration ou historique :  je ne sais plus depuis quand je danse. Khronos.
  • présent « prophétique » : il a le sens d’un futur : je voulais te dire que je t'attends . Khronos.

Le présent est un bien beau cadeau du temps.

Alors désormais quand quelqu'un vous dira "toi, tu vis au présent" sous-entendu "tu as un cerveau de poisson rouge", et que vous répondrez "oui, à tous les présents" ça ne voudra pas dire que vous êtes schizophrène, mais que vous êtes un lecteur attentif des Chroniques Urbaines...

 

Sonia Grdovic

 

 

 

 

2 commentaires
Le 2013-05-01 01:57:09 par dom corrieras
Le temps et l'espace

La structuration spatiale de la société féodale

… /...


Si le féodalisme est caractérisé par une « dominance spatiale », il n'en est plus ainsi aujourd'hui. Dans le monde contemporain, c'est le temps qui semble constituer le nœud de l'organisation sociale, parce que, sur la base du salariat et du calcul horaire du temps de travail - forme toujours dominante des relations de production -, se sont développées des conséquences multiples pour des êtres pressés, soumis à la « tyrannie des horloges » et à la compulsion de connaître l'heure qu'il est. Une règle fait sentir ses effets sur tous les aspects de la vie : « le temps, c'est de l'argent ». À l'inverse, dans la société médiévale, le cœur de l'organisation sociale et des rapports de production dépendait du rapport à l'espace : la condition première du fonctionnement du système féodal était la fixation des hommes au sol, leur intégration dans une cellule spatiale restreinte. à la fois fief, seigneurie et paroisse, dans laquelle ils devaient être baptisés, s'acquitter des redevances ecclésiales et seigneuriales, et enfin être enterrés pour rejoindre dans la mort la communauté des ancêtres. Aujourd'hui, quand le lieu est en passe de n'être plus perçu comme une dimension nécessaire des êtres et des événements, quand les manifestations de la marchandise peuvent advenir indifféremment en n'importe quel point du globe, nous sommes en train de perdre ce sens de la localisation. Nous vivons certes le paradoxe d'une « globalisation fragmentée », qui multiplie les frontières, exacerbe de sanglantes folies identitaires et requiert un développement mondial inégal. Pourtant, le Marché prolonge, dans les domaines qui l'avantagent. son œuvre d'homogénéisation et de banalisation spatiales, engagée au XVIIIe siècle, à tel point que l'uniformisation marchande mine sournoisement la spécificité des lieux, et que les possibilités techniques de mobilité et de communication font parfois oublier la spatialité comme dimension intrinsèque de l'existence humaine (laquelle ne saurait être qu'en étant là, quelque part). Si les usines et les bureaux sont sans cesse déplacés vers les zones où la main-d'œuvre est meilleur marché, on pourrait dire que la délocalisation devient une caractéristique générale du monde contemporain, dans la mesure où l'extension sans limites du Marché tend à éclipser la dimension spatiale et à faire disparaître la relation au lieu propre comme trait fondamental de l'expérience humaine.
Il est symptomatique que le principal châtiment qu'imposent les justices modernes - hormis la peine de mort et malgré le recours à l'interdiction de séjour - soit la prison : privation de liberté et entrave à la capacité de déplacement, localisation forcée par conséquent. Au Moyen Âge, la prison était une peine très accessoire, tandis que le bannissement était au contraire essentiel (Hannah Zaremzka). Rupture du lien entre l'individu et son lieu, l'exil était une quasi-mort sociale, les bannis ayant grand-peine à refaire leur vie ailleurs : « dans cette société d'honneur. vaut-il mieux être un homme mort qu'un homme bafoué ? D'une certaine manière, l'exil est pire que la mort » (Claude Gauvard). Envers du principe de stabilitas loci, le bannissement constituait une obligation de déplacement, une délocalisation forcée, soit l'inverse exact du châtiment carcéral. Contrainte principalement spatiale d'un côté, contrainte essentiellement temporelle de l'autre : c'est là, très schématiquement dit, l'une des marques de l'opposition radicale entre le monde médiéval et le monde contemporain.

… / …

Extrait de : "La civilisation féodale - De l'an mil à la colonisation de l'Amérique". Jérôme Baschet - Maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales. Enseigne également à San Cristobal de Las Casas, au Mexique. A notamment publié "Le sein du pére, Abraham et la paternité dans l'occident médiéval", Paris 2000 (prix Augustin-Thierry).
Le 2016-08-11 14:10:15 par
Bravo Sonia pour ces chroniques très intéressantes et instructives.👍😀
Numéro : 9 -