Ami lecteur, ouvre ta gueule !

Parce que Les Urbains de Minuit sont un outil, nous vous donnons la parole.
Vos réactions seront lues et approuvées par notre sympatique comité de rédation dans les 48 heures.
Les propos racistes, xénophobes ou outranciers ne seront pas publiés.










CAPTCHA Image   Reload Image
Enter Code * :

ENREGISTRER
Numéro 61 - 07 septembre 2016
Inscrivez-vous à notre mailinglist :

L'artiste est un miroir qui se promène sur la grand route

(dessin : Robert Crumb)

Les festivités de Saint Narcisse (que les artistes inventent à Nice, vous l'aurez compris) sont l'occasion de questionner sérieusement, entre autres, les rapports particuliers que l'artiste entretient avec le complexe de Narcisse.

Bien que l’artiste expose sans cesse les multiples facettes de sa propre image, sa démarche n’est pas uniquement motivée par des enjeux narcissiques : aimez moi regardez moi j'ai besoin de votre regard sur moi pour exister.

Non, pas que.

Dans son processus créatif, l'artiste part de problématiques strictement personnelles parce qu'il pressent que ce sont également celles  d'autrui, que certaines ont la qualité d'être relatives ET absolues. Alors il tente de leur donner forme. C'est bien parce qu'il a l'intuition que sa problématique représente celle de beaucoup d'autres qu'il prend la peine de créer, de questionner le fond, la forme, les matériaux, les mediums, le support, le dispositif, etc., puis par  l'exposition ou la représentation, d'inviter le spectateur à se rencontrer (pronom utilisé dans sa forme réflexive ET réciproque).

L'artiste n'est pas Narcisse, ni même le reflet de Narcisse.

Le  travail de l'artiste est de traverser le miroir, d'en revenir, pour devenir lui-même  surface réfléchissante. Le premier enjeu de l'artiste est de  devenir grâce à son oeuvre le miroir de l’autre. C'est une très difficile étape dans laquelle il a largement distancié son propre narcissisme et conscientisé son processus créatif.

Cette histoire de l'artiste qui, loin de se regarder dans le miroir de son oeuvre, la tend sur la grand route rappelle Stendhal of course :

Eh, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l'homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d'être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l'inspecteur des routes qui laisse l'eau croupir et le bourbier se former.

L'école souvenez vous, nous parlait de Réalisme.

Mais c'est plus exactement de Réalisme Subjectif dont il s'agit. Paradoxal ? non, c'est toujours du réel rendu visible, mais ce n'est pas le même  perçu par chacun. Plus l'oeuvre est grande, plus nombreuses sont les subjectivités réelles, clairement dessinées,  qu'elle contient, définies par l'artiste. Parfois même un artiste a besoin de prendre plusieurs identités pour rendre visible  toutes ces subjectivités, tous ces individus, toutes ces histoires. Sans jamais s'y perdre. Sa distanciation  lui permet la vision critique. La paranoïa critique de Dali est connue, mais la schizophrénie critique est un sport également couramment pratiqué.

Cette histoire de miroir vous rappelle encore autre chose ?

Lorsqu'une oeuvre nous parle intimement, ce n'est pas parce qu'elle parle de nous, c'est qu'elle EST nous. L'oeuvre fonctionne comme un miroir psychique que l'artiste a la qualité et la capacité technique de créer. L'enjeu de l'artiste est  d'être fabriquant de miroirs psychiques. Le miroir magique, celui qui dit la Vérité. Au delà de la Réalité, la Vérité. Soulignons  que la fonction du miroir règlementaire est de refléter la réalité sans duperie. L'oeuvre réussie est miroir magique où comme dans les contes de fées nous découvrons au delà de la surface ressemblante de l'image "le tumulte de notre esprit, sa profondeur, et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur" (Bettelheim).

C'est pour cela que les artistes exercent ce troublant pouvoir d'attraction, non pas parce que ce sont des Narcisses en mouvement dans la perspective de leur suicide annoncé, mais parce que ce sont des Magiciens en mouvement, capables de convoquer les réels, d'y rendre le spectateur  visible à lui-même, profondément. Pour le meilleur et pour le pire.

Depuis que l'homme est homme, les grands artistes sont des chamans, les petits artistes sont des charlatans.

Et c'est pas pour dire, mais rendre compte des charlatans qui se promènent dans une ville de corrompus, c'est pas facile à vivre tous les jours, pour tous les miroirs magiques niçois en bonne et dûe forme. Non. Vraiment pas.

Avec mélancolie, on peut envier Narcisse : il vaut mieux mourir de sa propre beauté que de la laideur du monde.

 

 

Sonia Grdovic, aux Urbains de Minuit

3 commentaires
Le 2014-10-15 08:33:04 par Karla Paslac
Et la Saint Narcisse devient alors un miroir collectif à taille urbaine où les acteurs sont aussi les spectateurs ! Bien vu. Nous sommes tous l'autrui des autres.....dans une ville qui se transforme, derrière le miroir......
Petit aparté, en éthologie du comportement équin, le principe de base est que le CHEVAL EST EPONGE ET MIROIR... de nos émotions et de notre détermination. La différence, avec le cheval, est que le retour est fulgurant : un faux pas, une intention mal formulée et le "dresseur" est débouté.....Alors, tâchons d'être justes, dans notre art et notre regard, comme avec ces animaux grégaires toujours prêts à exploser.
Le 2014-10-15 07:01:58 par TS
Bien vu l'artiste ;-) !
Le 2014-10-15 12:09:17 par Cana
L'artiste est un mini miroir à mini prix, mais il fait le maximum ... ;-)
Numéro : 44 -