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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Abattre les frontières

"Clivages" extrait de Carnets de Zacloud 

 

Frontières… C’est un mot qui enferme. Les frontières posent, dessinent, décident des limites. Au nom de quoi ? Fixées par qui ? C’est un problème complexe.

Les confins ouvrent l’espace, agrandissent les distances, posent « un horizon ». Les confins titillent le rêve, chatouillent l’imagination. Les confins appellent les voyages initiatiques ou vers l’inconnu. Les frontières sont faites pour être passées, les confins pour le dépassement...

Des milliers d’humain(e)s se confrontent aux frontières d’états poussé(e)s par mille tourments et conditions atroces. Beaucoup y perdent la vie, sans bouleverser les consciences, sans révolte ou alors à la marge. Frontières murailles, frontières égoïstes. Des frontières, qu’historiquement nous avons parfois contestées, deviennent protectrices et sont défendues âprement pour préserver, croyons-nous, notre espace vital, nos cultures, notre incurable propension au non-partage. Ces frontières, aussi hauts soient les murs et barbelés que nous érigeons, seront balayées par la volonté humaine de vivre dans la paix et la décence, d’élever nos petits d’Homme, le ventre plein et la tête contente et remplie de ce savoir,  côté lumineux « de la force ».
Ce que nos gouvernements font, avec l’Europe, et que nous laissons faire, sera regardé comme le « côté obscur » dans les temps à venir et condamné… ou alors notre barbarie intemporelle aura gagné…

Mais il existe aussi d’autres frontières qui ne concernent pas des territoires mais notre univers personnel, notre corps, nos pensées. Les frontières de « nos vies multiples » à travers nos âges. Découpées, nos vies. Frontière de la naissance, de l’accession à la marche, de la puberté, de l'enfantement, de la maturité, de la vieillesse. Comme cette dernière période est devenue longue « les spécialistes » trouvent moyen de la découper encore : l’âge de la retraite, dynamique, sur occupé, dont l’image donnée est souvent idyllique, le grand âge, nécessitant aides, soins et donnant, paraît-il, accès à la sagesse (derrière laquelle Nietzsche voit plutôt l’immense lassitude des vieillards, rejoint en cela par Gide, qui estime que l’on n’y accède que par « refroidissement et lassitude » ) et enfin la dépendance, infantilisante souvent, où le risque de perdre son identité est fort.
Toutes ces frontières-obstacles de nos vies s’inscrivent dans nos corps, notre chair, sur notre peau, nos visages. Comme des athlètes nous avançons en sautant. Et, là, en fin de course, se dessine la mort, comme un hypothétique autre espace-temps, ouvert par l’ultime expérience.
Mais en dépit de toutes ces frontières d’âge, en dépit de ces changements dont résultent, en quelque sorte, nos « différents moi », nous restons LE ou LA MÊME, abattant, de facto, les frontières imposées, réunifiant en permanence ce que l’on a été avec ce que l’on est. Ce que le regard extérieur de chacun ignore, en se posant sur l’autre, pourtant le regard intérieur le sait pour soi-même : l’individu fait de la RÉSISTANCE, en lui-même pas de frontière ! Il restera l’être unique qu’il est et qu'il sait être.

Un autre aspect de frontière actuellement en débat au sein d’une frange grandissante d’humains, la frontière qui nous sépare des autres animaux. Frontière fluctuante évoquée dans la chronique du Web journal n° 51. Animaux domestiques reconnus comme êtres sensibles, animaux sauvages, non. Animal humain maître de tous, ayant pouvoir de vie ou de mort… mais les temps changent. On a reconnu à l’animal des facultés que l’on pensait spécifiquement humaines comme l’utilisation d’outils, la transmission d’un langage appris…
De nombreux hommes et femmes refusent maintenant de manger les animaux. Oui, les temps changent…

Et que dire de la mixité sociale. Si une certaine mixité existait dans les quartiers où se côtoyaient différentes classes sociales, cette mixité tend à disparaître et aux frontières de classes se superposent des frontières territoriales : quartiers réservés, quartiers ghettos. Effarement des jeunes rédacteurs italiens (voir article Étrangers, ici ou là) de constater que le tramway dans la ville de Nice évite le quartier de l’Ariane, quartier de pauvres, quartier de personnes issues de l’immigration. Apartheid, disait l’autre. Mais cet effarement prouve que tout le monde n’est pas prêt à renoncer à la mixité, à la différence, n’en déplaise aux nantis égoïstes et aux intégristes religieux, qui en plus des critères de classes et d’origines ethniques, ont introduit et instrumentalisé les critères de religion pour séparer les gens.
Loin de moi d’encenser de manière irénique la diversité, les différences peuvent séduire, mais aussi choquer, déranger, et chez un même individu tout à la fois, en fonction du lieu et des circonstances de la confrontation à l’altérité. Mais, heureusement, vivre entre soi, en vase clos, en communautés fermées n’est pas un vœu unanimement partagé.

Il faudrait encore parler du paradoxe de notre époque de mondialisation qui se joue des frontières, et du développement concomitant de la xénophobie et de son lot de clivages. Mais j’évoquerai juste ce sentiment étrange partagé par beaucoup d’entre nous : l’étrange impression d’être partout non étranger, non étrangère, là où l’on est, communiant à la fois avec l’environnement et tous les vivants qui le peuplent.

Oui, la notion de frontière, de séparation donc, est au cœur de nos sociétés. Mais partout des groupes de femmes et d’hommes pour la décrier. Oui, partout des limites, mais partout la volonté, au moins embryonnaire, ou le désir, de les dépasser.

Narki Nal, aux Urbains de Minuit.

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