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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Une semaine et plus

 

Vendredi 13 Novembre 2015 23h… Sidération au moment d’apprendre ce qui est en train de se passer. Recherche d’informations. Mais toujours dans un état passif, retranchée, mais où ? Peu à peu je perçois qu’enfin je repense ! C’est alors la même accélération de mon cerveau qu’en janvier. Les idées apparaissent simultanément. Brouillage.
Évidemment, pourquoi ça n’arriverait pas chez nous ? Pourquoi le Liban et pas nous ? Mais au fond, très honnêtement, au Liban ça paraissait plus naturel, non ? Naturel ? Mais c’est épouvantable d’articuler jusqu’à la conscience de telles pensées-aliens ! Je fatigue. (Effectivement, le double attentat de Beyrouth très meurtrier qui a eu lieu 24h avant celui de Paris n’a pas suscité la même émotion Je lirai, le 15/11, un billet de Pierre Haski, de Rue89, « Géométrie variable », expliquant le mécanisme de l’identification sociale en jeu). 

Je passe des heures à écouter, lire des informations, essayer de voir qui ne dort pas encore… Il y a des messages qui commencent à circuler sur FB, des messages où je me « reconnais », d’autres bêlant des évidences, ça dégouline de bons sentiments. Bon, il vaut mieux de bons sentiments, pas vrai… J’essaie de me persuader. Un appel à rassemblement apparaît, présenté avec la photo d’une pancarte brandie « Vous allez vous aimer les uns les autres, bordel de merde ». L’appel m’intéresse mais l’injonction me paraît un gag en ces circonstances. Je souris tristement en pensant à l’intitulé de la journée du 13, vous savez, une de ces journées pour la femme, la politesse, les grands-mères, les voisins, ceci, cela. C’était pour la gentillesse, celle de vendredi ! Humour. Noir en l’occurrence. Je note l’heure, le lieu. J’irai revoir ça demain.  Non, c’est déjà demain. Samedi 14 novembre. Plus tard alors, quand j’aurai un peu dormi…
Dormir ? À 2h31 j’écris  « Ne pas se coucher ».  Sens figuré, sens propre aussi.

Voilà que passe le message « Pray » for Paris. Nous sommes au cœur du problème. Des gens tuent des gens au nom de la grandeur de Dieu et la réponse serait que nous prions Dieu… un autre bien sûr… Je suis triste. D’une tristesse glaciale, qui recouvre la colère sous-jacente. Mais me demander de prier c’est m’englober contre mon gré dans le camp des BONS croyants, c’est ne pas pouvoir imaginer que des gens vivent sans religion…
3h46. J’écris là-dessus.

Depuis, j’écoute, je lis, je regarde… et j’écris. Je dormirai plus tard…
Priez entre vous, parlez à vos dieux, vous êtes libres mais prenez conscience que vous êtes une partie de l’humanité, pas l’humanité. Les croyances entraînent, la plupart du temps, la séparation, des jugements empiétant sur nos comportements quotidiens, nos amours, nos façons de vivre… Ce n’est pas justement le problème ? Tomber dans le religieux quand ce qui est attaqué c’est notre manque de religion, notre soi-disant absence de spiritualité…
Il faut des réponses mobilisant la pensée, dialectique, philosophique. Nous sommes une vieille nation, nos idées paraissent faibles face aux pensées totalitaires « parce qu’elles intègrent le doute. Mais le doute c’est notre force ». C’est Joann Sfar qui le dira le 16/11  http://www.franceinter.fr/emission-boomerang-joann-sfar-trois-jours-plus-tard, comme il explique clairement que la gentille exhortation à prier, très étasunienne n’est vraiment pas la réponse adaptée.
Le tangible et le totalitaire sont plus facilement appréhendables que la réflexion… 

J’irai au rassemblement de cette fin d’après-midi du 14 novembre pour voir assez peu de monde présent, quelques amis/ies, un policier très poli, en civil, nous demandant avec d’infinies précautions de nous disperser pour notre sécurité, sans conviction, avec raison, puisque personne ne bouge  et un groupe d’identitaires qui se met à brailler des horreurs insupportables mêlées à la Marseillaise, et qui, lui, me fera partir de peur d’être assimilée…


Le lendemain la rencontre prévue avec des amis/ies - boire, manger, rire profiter de la douceur du temps, ensemble- me laissera dans une sorte d’enveloppe isolante,  percée de temps à autre par une pensée fulgurante pour tous ces gens morts que je ne connais pas et qui, désormais, seront de ma parentèle. Une parentèle éloignée dont on découvrira les visages, les noms, les parcours de vie dans Libération par exemple, plus tard. Dont on fixe les visages longtemps, sans rien dire, envahi-e de tristesse lourde.

Lors des tueries de janvier 2015, j’ai ressenti profondément la cassure avec mes compatriotes de culture musulmane qui avaient l’air de faire bloc : tous ces « Je ne suis pas Charlie » affichés… Je ressassais l’idée que nous avons perdu la bataille du vivre ensemble, au moins pour un long temps. Nous voulions la grande rencontre, le mélange, le partage, nous défendions ces français(e)s ou ces encore étrangers contre la xénophobie et le racisme, mais nous vivions déjà séparés, malgré nous, contre nous, mais séparés quand même. La fracture que nous dénoncions avait grandi, nous écartant d’une rive à l’autre. Des bouffées de haine nous assaillaient venant même d’enfants de ceux et celles-là mêmes avec qui nous voulions la fraternité, englobé(e)s malgré nous dans un camp ennemi fantasmé ou réel sans nuances. En guerre de cultures, en guerre de religions. Pas moi.
Me remontait le temps lointain où je fus enseignante, me revenait le désarroi éprouvé déjà d’avoir en mes classes des « ennemis ».  Non, ce n’était plus pareil, la classe devenait un combat, l’élève le plus souvent garçon et de culture musulmane m’opposait son mépris. Une femme, cette engeance inférieure, non, ne pouvait être « le décideur », n’avait rien à lui imposer… Cerveaux déjà imperméabilisés à coup de lieux communs,  de phrases apprises par cœur sans esprit critique… d’où venait tout ça, cette purée de croyances rétrogrades, frelatées, naufrage de l’intelligence ?

Et l’émergence de toutes ces jeunes femmes voilées, l’emprise religieuse croissante, le divorce parfois entre parents discrets et enfants ostensibles. Cette montée du communautarisme…
Et pourtant, parmi ces Français de culture musulmane, beaucoup n’adhéraient pas à cette nouvelle façon de vivre. Mais nulle part leur voix. Silence assourdissant… « Orthodoxie de masse diffuse… coercitive »
Dans « mon camp », oser dire le ressenti de la faille entre les Français communautarisés et moi me fait immédiatement basculer dans le camp raciste.
Et pourtant, je n’avais pas changé de valeurs, moi, je ne ressentais pas de pulsion raciste.
Il faut vraiment le dire : il existe deux gros tabous dans mon milieu dit de gauche. On ne peut pas critiquer les « musulmans » et on ne peut pas douter du progrès, mais c’est un autre débat.

On peut difficilement émettre la moindre réserve sur les « musulmans » sans devenir suspect/e.  Mon milieu était et est toujours islamophile irénique, comme le dit Michel Onfray (le fait même de citer Onfray, devenu sulfureux, me pose en ennemie de mon camp). Et anti-juifs à cause du douloureux problème palestinien.  Là aussi, orthodoxie de masse…
Critiquer une pratique musulmane revient à subir l’accusation d’islamophobie. Pourtant, dans les milieux de gauche, on ne se gêne guère de critiquer les catholiques par exemple et la religion de façon générale… mais pas touche à l’islam ! ?
Pusillanimité ? La fameuse peur de gonfler le FN (analyse d’une pertinence rare à voir le score de ce dernier aujourd’hui) ? Lâcheté ? Peur de stigmatiser empêchant l’expression franche d’une opinion… Surtout abus de vocabulaire.

En effet, on peut dire que je suis prétendument chrétienne puisque baptisée mais je suis sans dieu, ni religion a fortiori. Il ne viendrait l’idée à personne de me désigner comme chrétienne, on dira, peut-être que je suis Française de culture judéo-chrétienne. Parmi la population musulmane  il y a des athées comme moi, donc une frange indéterminée non musulmane de fait, mais chut, il ne faut pas en parler ; de ces gens de culture musulmane mais non pratiquants/tes ; des pratiquants/tes ; des intégristes ; des intégristes voulant le djihad… et des intégristes djihadistes. Donc quand on parle de « musulman »  il faudrait préciser de qui on parle. Mais, non, une population entière est désignée sous une étiquette religieuse. D’où l’ambiguïté permanente. Là où nous devrions parler, distinctement, des Arabes ou autres populations arabisées ou arabophones et de l’islam, la sémantique glisse qui les enferme tous sous l’appellation de musulmans. De ce fait, la critique de l’islam devient un racisme nommé islamophobie, qui plus est, englobé dans le racisme anti-arabe. Le racisme et la critique, fondée, d’une religion, ou de certaines pratiques, sont pourtant à distinguer, mais, non…

Et la défense par les milieux gauchistes,  pour la liberté, du port du voile ou autre hidjab ? Effectivement, si notre pulsion première est la liberté, et la liberté est l’élément fondamental de la laïcité, comment défendre l’interdit (administrations, écoles …) ?
Problème complexe, pour cela même, la défense de la liberté, mais aussi à cause des motivations multiples de la femme qui le porte. L’idée de séparation peut y être essentielle. Les deux sens de la séparation : l’idée de se protéger de l’autre, soit parce que c’est le diable tentateur et dangereux, soit parce qu’il est l’agresseur potentiel.  Rôle protecteur donc. Mais certaines femmes adoptent l’accoutrement, mettant aussi un vêtement ample qui les recouvre, tout simplement pour n’avoir pas à faire attention à leur coiffure et à leur toilette, pour sortir.  Commodité.
Reste que c’est un dictat : d’abord considérée comme tentatrice par essence, la femme doit se cacher, ou cacher ses attributs séduisants, pour protéger l’homme de son  désir impie.
Se cacher n’est donc pas simplement religieux. Ce fait marque l’acception que le corps de la femme n’est pas sa propriété, mais celle du bon vouloir du mâle. Si tu te dévoiles, tu m’appartiens. Et si tu m’appartiens, je te dérobe aux yeux des autres mâles. Il implique la soumission des femmes.
Et même si elle est revendiquée par ces dernières - il n’ y a pas si longtemps seules des femmes d’un certain âge portaient un foulard, j’en ai côtoyées, souriantes, rigolardes, proches. Leur foulard, c’était une habitude, comme un bonnet ou un chapeau. Fondamentalement, il avait la même signification de soumission, ce foulard cachant les cheveux, mais d’une part il les cachait très mal et elles s’en fichaient, d’autre part il n’était revendicatif de rien. Une coutume vestimentaire ancrée comme certaines des nôtres. On peut être mal à l’aise de sortir sans culotte comme elles pouvaient l’être de sortir sans ce morceau de tissu hâtivement noué, sauf que l’absence de culotte ne se voit pas d’emblée ! À cette époque là, les filles, les femmes jeunes, marchaient cheveux (très beaux) au vent. Mais, aujourd’hui, la nouveauté est que beaucoup d’entre elles se voilent ou davantage et, beaucoup, pour revendiquer leur appartenance OSTENSIBLE à une communauté religieuse. Curieusement, c’est une bravade pour beaucoup d’adolescentes. La volonté d’attirer l’attention, car bien évidemment cela attire les regards, c’est le « cacher-montrer » jouissif, excitant et, en même temps, un acte contestataire - la  soumission de la femme à l’homme est contraire à notre principe d’égalité. Les Françaises qui portent le foulard, ou le hidjab ou plus, bravent ce principe. L’expliquer sans violence. Mais l’expliquer pour la cohérence. Convaincre sur le long terme au moins comme objectif,  pour induire l’involution de ce phénomène.
Pourquoi ferions-nous nôtre la lutte pour l’égalité des sexes dans notre société, en acceptant d’y contrevenir, là ? Et pourquoi pas, toute proportion gardée, accepter, alors, dans notre pays, l’ablation du clitoris ? Le fondement de ces pratiques est le même, c’est la domination de la femme par l’homme et le contrôle sur son comportement, son corps, l’horreur en plus pour la dernière.  

Vivre dans un pays NON musulman, qui n'est pas terre d'islam, un pays où existe la séparation de l’Eglise et de l’Etat, fait la différence. Je le dis avec la crainte d’être taxée de je ne sais quelle épithète insultant,  mais me taire serait faire ce que j’ai reproché. Les Arabes et autres Français musulmans, qui ne voyaient pas cette différence jusqu’alors, doivent adapter leurs pratiques à leur pays, le nôtre, commun en l’occurrence, et à notre époque et non à celle de l’Empire ottoman, pour " le vivre ensemble". C’est un travail nécessitant qu’on écoute les penseurs et pas seulement les imams.
Certaines femmes mettent des gants !?  Pour ne pas nous toucher ou être touchées par nous !?
L’islam doit apprendre à vivre de façon différente qu’en terres d’islam (qui modifieront cette façon de vivre aussi, espérons-le, sous l’influence de l’évolution de leurs propres populations et des femmes de ces pays, en particulier… Tunisie, comme fer de lance de ces changements, je l’espère pour la Tunisie de mon cœur).

Justement des penseurs musulmans ou de culture musulmane s’expriment. Ils sont islamophobes ? Foutaise. Ainsi Abdennour Bidar, dans Télérama, après les tueries de janvier 2015 : "Bon nombre de musulmans entretiennent un rapport très lâche au religieux, mais l’athéisme reste un impensé et un tabou complet. L’islam ne reconnaît toujours pas le droit à l’athéisme, ni le droit de changer de religion. Dans certains pays musulmans, on peut être condamné à mort.
Le penseur tunisien Fadhel Ben Achour (1909-1970) dit qu’il y a dans les sociétés musulmanes une «orthodoxie de masse», diffuse, mais extrêmement coercitive. À cause de cette pression sociale, se dire agnostique ou athée est impossible à assumer, et cela même pour les consciences émancipées. Devant de tels blocages sur la liberté d’expression de soi, on comprend que le terrorisme qui nous mobilise aujourd’hui est la partie émergée de l’iceberg. Si la culture musulmane ne s’empare pas de ce moment pour faire son autocritique, inévitablement, on verra sans cesse resurgir cette violence."
Et tout récemment encore http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/11/19/31003-20151119ARTFIG00002-abdennour-bidar-les-musulmans-doivent-passer-a-la-responsabilite-de-l-autocritique.php «... Plus largement, vivre spirituellement c'est vivre relié : à soi, aux autres, à la nature et à l'univers. Nos individualités étouffent et meurent lorsque ces liens sont rompus ou endommagés - soit par une vie superficielle où l'on n'écoute plus sa voix intérieure, soit par une vie égoïste et indifférente à l'autre, soit encore par une vie loin d'une nature qui nous enseigne la façon sublime dont toujours la vie triomphe de la mort… »
« Si nous persistons à vivre en régime de «déliaison du monde», où la qualité de ce triple lien à soi, à autrui, à la nature, reste si mauvaise, alors le néant, le nihilisme, de Daesh viendra comme un poison s'infiltrer dans toutes nos brèches, dans toutes les blessures de nos liens. »
On ne saurait mieux dire.

L’origine de la séparation, en France, avant la montée du phénomène religieux qui l’entérine, est raciste mais cette ghettoïsation est aussi sociale, économique et culturelle.
- Les plus pauvres restent et n’ont pas accès à la culture (Promesses jamais tenues des politiques : un ripolinage des façades au mieux… avoir une salle pour faire du rap très bien, mais avoir accès aux bibliothèques aussi, pas mal non plus et s’il faut des priorités…).  Ils s’enferment encore plus dans leur groupe, et l’État les y laisse, démunis, sous la pression de la communauté qui, à la fois, les aide et les étouffe, pression des religieux ou des gangsters, ou des gangsters rhabillés par Allah. Argent des pays comme le Qatar arrosant qui il faut où il faut... Des jeunes, qui sans lien véritable avec les pays d’origine de leurs parents ou grands-parents, se sentent de ces pays et pas du leur, la France, toujours la valise prête donc ! Car faute de pouvoir vivre tous ensemble on vit entre soi et quand le vivre entre soi devient difficile aussi, alors on part… Je n’excuse pas les jeunes devenus djihadistes par des explications sociologisantes. Mais tout de même, nier ce facteur complètement, comme le font certains… ? La misère liée à la pauvreté culturelle d’un monde d’un côté, à l’acculturation concernant l’autre monde, celui de leurs lointaines origines, de l’autre,  le développement d’économies parallèles culpabilisantes, c’est un terreau fertile de l’embrigadement religieux, non ? Les imams salafistes y récoltent leur moisson.
Mais cela d’autant plus que la lutte des classes n’a plus trouvé le ressort qu’elle possédait quand l’espoir en un monde meilleur, partageux, communiste, s’est effondré. Plus d’espoir. Et, comme le dit Michel Koutouzis dans Mediapart,  l’Occident a tourné le dos aux valeurs qu’il avait forgées durant des siècles, en luttant contre «l’inquisition, le pouvoir divin et absolu, l’arbitraire, les régimes autoritaires et le nazisme » pour s’allier « … avec des théocraties… des mouvements et des pouvoirs autoritaires… ».  Largement de quoi brouiller les repères, donc les esprits. À quoi se raccrocher quand on est pauvre, stigmatisé, sans avenir et faible culturellement, non éduqué ? Aux slogans qui font entrevoir l’accession à une puissance hors de portée. Pour les uns, ostracisé-e-s, l’islamisme (certains disent qu’il n’y a que l’islam pas d’islamisme, mais l’islamisme est une idéologie)  pour les autres, le Front National. Il y a des gens aisés et éduqués dans ces deux milieux ? Il paraît. De-ci, de-là un ingénieur, un avocat… Oui. Il y a sûrement d’autres facteurs déterminants mais l’ignorance et l’absence d’espoir sont un gros « atout », non ?

- D’autres ayant réussi malgré les handicaps quittent les ghettos, se mélangent, il n’y a qu’à voir la triste liste des morts de l’attentat de Paris, pour savoir, si on ne veut le voir, que notre pays a changé, mariages mixtes, fréquentations des mêmes lieux, partages … J’ai, cette fois, été frappée par le nombre de Français/ses d’origine arabe ou arabophone, qui s’affirment non croyants/tes ou, croyants/tes, qui s’impliquent dans le sursaut à mener contre les djihadistes , clairement identifiés comme ennemis communs. Une sorte de bonheur sombre me berce de lire ou d’entendre ces personnes, comme le chagrin me pinçait, en janvier, de lire le contraire. Elles veulent « vivre avec moi » comme je veux « vivre avec elles », former une même société. Loin des querelles de ce qu’est ou n’est pas le multiculturalisme
Universalisme ou communautarisme ? Je suis claire, non à l’uniformisation, mais interpénétrations diverses, et je ne parle pas de kamasoutra ! Comme dans les recettes de cuisine. Chacun/une les concocte à sa manière. Des mélanges. Mais pas les mêmes. La diversité persiste et le partage « du manger ensemble » est original et délicieux.

Maintenant après le naufrage, nous partons en guerre. La rhétorique de guerre est-elle appropriée ?
Pour beaucoup nous y entrons à reculons avec une sensation de malaise. Il est inquiétant d’entendre le Président de la République parler avec les mots de George W. Bush. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/16/monsieur-le-president-vous-etes-tombe-dans-le-piege_4810996_3212.html

Il est inquiétant de déclarer l’état de guerre, car, alors, on ne tarde pas à voir poindre la restriction des libertés. Nous sommes un état de droit, la marge est peut-être étroite pour lutter contre le terrorisme avec la juridiction d’un état de droit, bien que d’aucuns le contestent. Donc on recourt à l’état d’urgence, à la modification de la Constitution, avec le risque de s’en servir, non seulement, contre le terrorisme, mais aussi contre les formes de dissidences ou même, sous la pression du FN ou des LR, nous faire un Guantanamo, à la française…
Et à quoi sert le renforcement des services de renseignements si, derrière, comme le dit le juge Trévidic, l'ancien juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris, le judiciaire, pauvre en moyens, ne suit pas ?  http://www.lesinrocks.com/2015/11/news/marc-trevidic-nous-luttons-contre-le-nazisme-tout-en-invitant-hitler-a-notre-table/
Trévidic, qui soulève aussi la question de la politique étrangère de la France : quid du jeu de la Turquie dont les relations à DAECH ne sont pas claires, pour le moins ; quid de l’Arabie saoudite dont nous « savons très bien »  qu’elle « a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme –et pas seulement ce poison, aussi de l’argent. Les attentats de Paris en sont l’un des résultats. Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la main au roi d’Arabie saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table ». Et que dire du revirement face à Bachar al-Assad ?
Le capitalisme mondial qui ne « voit » que ses profits et son extension,  n’ a que faire de l’éthique. La France peut vendre des armes qui arrivent sans doute aux mains de DAECH par des circuits détournés et lui faire la guerre avec d’autres armes… La prospérité de DAECH due, en partie, à son pétrole, implique qu’on l’achète, ce pétrole, le raffine, puis le vende (Qui ? Turquie, Syrie…). Des systèmes bancaires élaborés transfusent cette armée de mort…  Ces considérations économiques écœurantes  relativisent les objectifs de la guerre, bien évidemment, et nous laissent, pour le coup, désarçonné-e-s. Nous qui redoutons l’impact des guerres sur les civils,  qui n’avons pas de culture belliciste, comment adhérer à celle-ci dans l’élan unanimiste d’une nation contre un ennemi impitoyable ?  Je suis honnête en disant que l’éradication de DAECH ne me pose pas de problème de conscience, mais, d’une part, peut-on être sûr-e que les bombardements soient le bon moyen d’éradication, et d’autre part comment éviter que naisse, après DAEH, une autre formation, aussi délétère, si aucun gouvernement ne rompt les ficelles de ce gigantesque jeu de dupes et comment redonner de l’espoir, ce poison anti-djihad ?
Sûrement pas en  énonçant de grands principes et en les bafouant allègrement dans nos politiques intérieure et extérieure mais sans doute en changeant nos pratiques, peut-être aussi notre système représentatif par exemple … pour une démocratie directe ...

Reste que pour l’instant, il faut faire face… quand l’ennemi est une sorte de nazisme.
Toujours pour le juge MarcTrévidic : «Il faut travailler sur les causes», « la porte de sortie, c’est un travail contre la radicalisation et contre l’idéologie islamiste. Ça peut prendre dix ou quinze ans ».
On lira avec profit le blog  Terrorisme : que faire ? du 17/11 de Mediapart. Qui parle du naufrage de l’occident par rapport à ses propres valeurs, occident qui, uniformément néo libéral, a « oublié le sens du triptyque français Liberté – Égalité - Fraternité… » Occident, qui est obligé de « s’attaquer aux conséquences de son mal et pas aux causes…  enfermé dans sa doctrine économique mortifère.
On pourra s’interroger sur la notion d’État fort qui y est prônée, mais on adhèrera au retour souhaité « du politique dans les mots et dans les faits. La fin du ronronnement néolibéral universel »

On nous dit que le Monde continue d’aller de l’avant mais nous savons, au fond de nous-mêmes, que devant il y a un gouffre, et qu’aller de l’avant veut dire y plonger !
Bannir les formes politiques anciennes ?
Trouver les formes d’organisation qui nous permettraient de garder espoir ?
Cherchons !

 

Narki Nal, à qui veut « l’entendre »

ndr : cet article qui détaille l'organisation de l'islam en France ici

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Numéro : 58 -