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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Il était une fois : les Diables Bleus vs Mairie de Nice, 2008

Photo Zacloud

La veille, au milieu de l'après-midi, les Diables Bleus avaient croisé deux étranges touristes. Ils avaient traversé la cour et sans rien demander à personne, s’étaient mis au travail : le mitraillage systématique du lieu. Ils prenaient des photos, beaucoup trop de photos, pas n'importe quelles photos. Des photographies précises des lieux de passages, des accès, des portes, et des fenêtres. Cheval prévint les autres, qui entourèrent gentiment les deux hommes, les engluant par le nombre. Force gentille mais insistante des Diables Bleus. Débuta une longue conversation. Cheval fut le seul qui ne put s'empêcher de dire :

" Ces mecs là, ils se foutent royalement de notre gueule, c’est évident. "

Une tenue banalisée, jeans, tee-shirt blanc mais des têtes bien carrées, bien rasées qui trahissaient leur improbable incognito. Ils essayèrent de dire qu'ils étaient photographes de presse, on leur demanda alors dans quel journal allaient paraître ces photos. Ils comprirent que les Diables avaient compris.

Les flics, ça marche par couple : le gentil tout sourire qui extorque l'information et le violent en réserve d’une intervention musclée. Ce doit être inscrit dans les manuels de formation.

Naturellement, les Diables Bleus causèrent avec le pseudo gentil. Le piège fonctionne même avec les plus avertis.

Au bout d’un moment, à cours d’arguments convaincants, ne pouvant plus nier les évidences, ce dernier lâcha du lest : il finit par cracher en partie le morceau, tout en demandant de ne rien divulguer, il risquait de perdre sa place de fonctionnaire de police. Le méchant, silencieux, laissa faire, ne voulant pas d'incidents. De toute façon, ils les avaient leurs clichés. Personne ne les avait empêchés de faire leur travail. Ils voulaient seulement partir pour rapatrier leurs prises de vue alors ils finirent par avouer tout à fait qu’ils travaillaient à renseigner une intervention des forces de l'ordre pour déloger les Diables du site. Ils aidaient à l’organisation d’un plan d'attaque imminent.

À l’éclairage de ce nouvel élément que penser de cette rencontre récente, à la demande de la Mairie, de deux plasticiens des Diables Bleus et de la Brèche, avec les services d’urbanisme et culturels de la Ville, en présence des adjoints à l’urbanisme, à la culture et des membres des différents services? Pourquoi deux plasticiens ?

Ces politiques et techniciens leur disaient avoir bien intégré le problème des Diables Bleus à régler à brève et longue échéance. La Ville déclarait posséder d'autres locaux pour permettre de continuer « à peu près » les activités du Collectif. Elle avait fait appel à deux architectes de renommée internationale (ils avaient réalisé le « « Palace de Kyoto » à Paris) spécialistes de la réhabilitation de friches pour les destiner à la création. Ces célébrités allaient entrer en contact avec les artistes du site et faire remonter leurs besoins. Alors que la mairie parlait de longues et fructueuses négociations qui commençaient, les rideaux de fumée, les soporifiques puissants de la reconnaissance se troublaient déjà, ça et là, de malheureuses phrases, d’évidentes dénégations du genre « …bien sûr, vous n'allez pas être mis dehors demain, vous le savez ? »

ON, de la mairie, rappelait pour rogner un peu nos ambitions qu'il y avait d'autres partenaires, troupes, groupes musicaux, artistes divers qui avaient des demandes similaires et qu'il faudrait bien intégrer au projet global, ce qui compliquait la donne.

ON répétait à l’envi qu'il fallait tenir compte des contraintes d’urbanisme (tramway, voiries, gare, bibliothèque, cafétéria...).

S’installer où alors ?

Les Diables rétorquaient que le seul lieu de vie dans le secteur c'était celui qu’ils avaient créé. La marque du campus, dans le quartier, c’était l’incroyable bazar des voitures des étudiants sur le parking. Un vrai désert culturel. Les Diables étaient les bons intermédiaires, la bonne interface sociale entre la population et l'université. Leur réimplantation dans la zone « façade touristique » était impossible. Leur réimplantation dans les « zones ghetto » impliquait une action sociale et éducative pour laquelle ils n’étaient pas formés. Leur implantation dans cette zone populaire du quartier des Diables Bleus n’était pas artificielle, elle correspondait, pour la majorité des Diables, à leur milieu d'origine sociale. Leur projet était d’investir le Bâtiment à l'Horloge qui ne devait pas être détruit. C'était le lieu le plus adéquat. Ce bâtiment ancien était facilement appropriable, à l’identique de ceux qu’ils occupaient déjà. Il fallait souligner aussi l'importance du volume extérieur : les jardins, l’espace, étaient inscrits dans les pratiques, les jardins nourrissaient leur originalité.

La vision sociale, pour un urbanisme humain, où l’artiste n’était pas séparé de son milieu de vie, semblait donc écartée. De même l’idée de relations privilégiées avec la faculté, le pont entre l'éducation nationale, quartier et acteurs du Collectif. La vision municipale privilégiait la notoriété individuelle exploitable économiquement, manipulable et l’effet de mode commercialisé. Voilà peut être pourquoi deux seuls artistes plasticiens avaient été choisis comme interlocuteurs. L’objectif : vendre de l’art, rehausser l’image culturelle de la Ville.

La crainte fut exprimée par les deux représentants choisis par la mairie, que cette consultation ne soit qu'un pseudo-dialogue cachant en fait un projet unilatéral déjà engagé. Ils évoquèrent la destruction de la base d'activité du mouvement précurseur, Nux Vomica et Zoumaï, un hangar à San Roc. Un lieu riche de création. Et l’ouverture, à sa place, d'un concessionnaire automobile qui n'avait aucun intérêt pour la population sauf à être un centre commercial de plus. Quelqu'un de la mairie dit : « L'idéal serait de ne rien changer ». Cynisme ? Lucidité incongrue ? Un ange passa mais la première et seule proposition qui se dessinait, était de créer un lieu institutionnel en dehors du quartier, un lieu de monstration. Une vitrine commerciale.

Les Diables présentèrent les plans du volumineux dossier « Casernes d'Angély » qui avait émergé d'un long travail du Collectif des Diables Bleus et des occupants de la Brèche.

- Beaucoup de vert ! dit « ON municipal » d'un ton moqueur.

- Il faut du vivant dans un monde de virtualité, déréalisé. Du vivant, pas de plates-bandes fleuries factices avec palmiers hollywoodiens.

- Notre politique est hélas déterminée par la pression foncière…

Les Diables demandèrent avec force que ce soit la volonté politique relayant les gens qui prédominât sur le marché financier. Il ne fallait pas détruire le renouveau de vie engendré par le Collectif. Il ne fallait pas détruire un lieu où une indicible alchimie avait commencé l'hybridation de l'art avec la culture au sens global. L'Agriculturel disaient-ils en riant sérieusement. Mais qu’importait, pour la Ville, la consolidation des liens sociaux dans un monde devenu de plus en plus violent par réaction au système ? Le système, elle s’en revendiquait. Et elle jouait la violence contre la violence. Qu’importait pour la ville la construction humaine qui s'organisait, chaotiquement certes, mais pour s’ouvrir, s'émanciper ensemble. Il ne s'agissait pas seulement d'ateliers, de salles de répétition, il y avait en jeu un besoin d'utopie, de création, de poésie. La relation au quartier plus importante que la relation aux institutions, ancrait le Collectif à ces casernes, à ces jardins qu'il voulait partager avec les autres habitants malgré le rouleau compresseur économique et politique. ON ne pouvait pas les balayer et les envoyer, poussière, sous un quelconque tapis opportun. Ils savaient faire naturellement ce que la ville ne pourrait faire, au cas, bien improbable, où ON déciderait d'aller dans leur sens.

- Mais votre constitution en collectif... Vos modes de gestion et de fonctionnement...?

ON voulait défaire ce lieu d'autonomie. Il paraissait impensable de laisser cette liberté, ce danger de sape des institutions. L’autogestion, ce monstre... Sous couvert d'intérêt réel, ON avait délégué des sbires pour un petit marché, pour sélectionner des artistes, essayer de renouveler l'art contemporain local, remplacer le « Nouveau Réalisme » et ses poubelles utilisées jusqu'à l’écœurement. Du sang neuf pour nourrir l’image internationale de la ville...

Une concertation d'opérette. Ça puait.

- Notre organisation en collectif n'est pas un point négociable. Vous parlez d'écoute et de dialogue nous doutons, rétorquèrent les deux représentants.

- Nous osons penser qu'une situation conflictuelle se terminant par notre éviction représenterait pour vous un risque politique et électoral.

Ce dernier argument, c'était une fanfaronnade, une pignolade. Ils n'y croyaient pas vraiment. Mais il fallait faire savoir qu'il y aurait de la résistance, que ce mouvement, reconnu subitement, saurait rester un groupe de sales squatters qu’il faudrait déloger par la force si besoin était.

Les pièges étaient évidents pour le Collectif : déplacement sur un site qui ne convenait pas à toutes les activités, sélection, administration confisquée.

Le lieu leur échappait.

Pourtant il fut prévu une nouvelle réunion dans un délai d'un mois à un mois et demi. Entre temps rendez-vous serait pris avec les architectes parisiens pour visiter le Collectif, la Brèche, le Bâtiment à l'Horloge et les éventuels lieux de repli qui seraient susceptibles de réhabilitation pour l'accueil des artistes…

Et ils avaient eu lieu ces rendez-vous, ces visites...et même de très officielles tables rondes avec beaucoup de participants…le patelin mais fourbe Président de l’Université, les représentants de la Culture et de la Région...

La concertation, un non-événement !

Les Diables comprirent qu’ils avaient été bien naïfs, victimes. D'un côté il y avait ces négociations interminables pour un relogement, où « ON » les baladait, où « ON » faisait semblant de vanter leur action, leur originale créativité, et de l’autre « ON » leur organisait un départ rapide et musclé, le pied au cul ! Qu’« ON » les délogerait par la force dans peu de temps était une évidence maintenant. Les négociations : un enfumage politicien, c'était pour les anesthésier pendant qu'« ON » préparait tranquillement et dans le détail l'épreuve de force finale.

Les photographes s'en allèrent, copains comme cochons, disant au revoir à tout le monde, serrant des mains, souriants, trouvant le lieu charmant et bien tenu. Ils avaient pu faire leurs photos sans encombre et les Diables Bleus étaient édifiés sur leur fin probable.

 Photo Zacloud

Zacloud, aux Urbains de Minuit

Fragment du premier roman de Zacloud « Phalanstère » sortie en 2008 et diffusé par ses soins à 400 exemplaires.

https://www.facebook.com/1460100400874755/videos/1516296605255134/

Diables Bleus, le 29, aujourd'hui http://www.lesurbainsdeminuit.fr/portraits-des-urbains?action=detail&sp_id=COM157c2cacb2d1c78526538211ac6506a3a

Vidéo de le fin des diables bleus dans archives des diables bleus avec des photos.

1 commentaires
Le 2015-12-02 19:32:49 par Julien Girard
Hélas! La poésie et la liberté abdiquèrent en ces lieux. Mais chacun de nous garde en son coeur ces milliers d instants magiques, soyons heureux qu ils furent possibles et peut être un jour ils refleuriront un peu plus loin, au gré du vent... Merci Zacloud pour ce texte
Numéro : 58 -