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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Cuba : et vive la révolution ?

« On ne saurait accepter qu’une petite dizaine de sociétés, surtout étasuniennes, décident de ce qui se lit, se voit ou s’écoute sur la planète. » Extrait du discours de M.Raul Castro Ruz au VIIème Sommet des Amériques, Panama, le 11 avril 2015.

 

L'ostracisme envers Cuba est tombé, par la décision toute puissante des Etats-Unis. Cette mise à l'écart a duré plus de 50 ans, a asphyxié l'île et sa population. Notamment lors de la chute de l'URSS en 1991 qui était pour Cuba la « poule aux œufs d'or ». Le blocus économique, commercial et financier avait une portée extraterritoriale : toute société investissant dans ce pays, qu'elle soit américaine ou non, pouvait être condamnée par la justice américaine mais aussi par la cour européenne de La Haye. Que peut-on attendre maintenant des « gendarmes du monde » vis à vis de leurs voisins cubains, libérés de leur joug ? Après avoir tenté par tous les moyens de déstabiliser l'idéal socialiste, quelles sont leurs intentions ? De quelle façon vont-ils poser leurs mains pouilleuses sur une île émancipée d'un système mondial véreux ?

Toujours est-il que l'on peut se réjouir rapidement des belles paroles qui s'échangent...pour qu'enfin le peuple cubain puisse vivre correctement.

Nous sommes à un moment charnière de l'histoire de Cuba. Pour le meilleur comme pour le pire.

Cette ouverture changera-t-elle les contradictions qui pèsent dans ce pays ?

Déjà, l'économie de Cuba est composée de deux monnaies différentes : le peso cubain et le peso cubain convertible (le CUC). Un CUC vaut 24 pesos cubains et est indexé sur le dollar, les étrangers pouvant seulement payer avec cette monnaie. L'absurdité se trouve dans le fait que pour obtenir des produits importés (électroménagers, vêtements, multimédias, les produits d'hygiènes et de soins du corps...bref, la plupart des biens matériels), il est nécessaire d'avoir des CUC...et les salaires distribués par l'Etat sont payés en pesos cubains. Or, le salaire moyen est de 20 CUC/mois lorsque les cubains ne détiennent pas un petit commerce privé. Un médecin touche 40CUC/mois.

La plupart des boutiques de vêtements ont des tarifs proches des prix européens c'est à dire qu'un short vaut 15CUC, une paire de chaussures 25CUC. Le marché noir va bon train et la générosité les touristes est fortement sollicitée. Le dentifrice, le savon sont des produits onéreux (2CUC). Ne parlons pas des produits de beauté...une eau de parfum vaut bien plus cher que trois mois de salaire (70CUC).

Au sein de cette complexité économique, les métiers liés au tourisme sont vus comme la panacée car ils peuvent être libérés des contraintes étatiques. Je peux notamment parler des chauffeurs de taxi qui gagne en moyenne 300CUC/mois, de même pour les maisons d'hôte qui détiennent leur propre entreprise. Ainsi, malgré une population très bien formée par des études dans tous les domaines, les potentiels enseignants, chercheurs, ingénieurs, médecins – amenés à travailler pour l'Etat – préfèrent se convertir dans une activité touristique qui fait gagner plus. J'ai souvent rencontré des jeunes cubains ayant fait des longues études par exemple en architecture...qui se retrouvent conducteurs d'un bici-taxi (taxi-bicyclette). Cuba est une société sclérosée, proche des contradictions des pays développés : un haut niveau d'étude reste souvent sans débouché véritable et nos qualifications servent à un travail réclamant moins de diplômes, rémunéré au lance-pierre.

Par certaines situations, Cuba rencontre donc des problématiques touchant les pays occidentaux. Cependant, il est nécessaire de relever la qualité de la santé publique et de l'éducation – gratuites pour tous – dans ce pays. Mais qu'en est-il des valeurs et des idéaux du socialisme: le partage, l'égalité, la tolérance, le savoir « vivre ensemble », au delà de la force du service public ? Qu'en est-il d'une idéologie contraire à une société capitaliste où une classe domine toujours l'autre ?

Par l'expérience d'une société occidentale et capitaliste, nous savons quels en sont les dangers : la valeur de l'argent supplante le reste, les détenteurs du pouvoir et de l'argent sont prêts à tout pour gonfler leur chiffre d'affaire et leur profit, à favoriser « les copains » plutôt que de penser au bien de la société toute entière, au détriment de l'aspect social et humain. L'individualisme triomphe, creusant toujours plus le fossé entre les différentes classes sociales. C'est une mentalité : celle du « marche ou crève », où la performance de l'individu va être mise à l'épreuve chaque jour par des pressions subis au travail notamment. Et c'est de cette mentalité dont je veux parler à Cuba : non pas sur l'aspect de la performance – car chacun trouve sa place – mais plus généralement, par rapport à l'individualisme naissant (avec l'apparition des inégalités de revenus) qui met en place une sorte de « chacun pour soi » où l'on voit dans l'autre un intérêt avant de l'apprécier à sa juste valeur. L'autre peut devenir un moyen d'accéder à ce qu'ils n'ont pas (voyager, avoir un téléphone portable dernier cri ou des vêtements neufs).

Qu'est ce qui fait qu'une éducation issue de la révolution ne crée plus de cohésion sociale ? La plupart des Cubains que j'ai rencontré était envieux des touristes, de moi en l'occurrence. Nous sommes vus comme des gros dollars sur pattes – et c'est bien entendu un phénomène courant lorsqu'on se retrouve à voyager dans les pays émergents. Alors qu'une partie de la population des sociétés capitalistes voient les failles de ce système, ceux qui la considèrent de loin imagine l'Eldorado, sans vivre la précarisation des emplois, les privatisations, les faillites, les charges financières venant de toute part, le coût de la vie exorbitant du quotidien, le mal-être stagnant. Envieux de ceux qui viennent dans leur pays mais aussi envieux des uns et des autres cubains dès qu'il y a un avantage matériel.

Pourtant plus de 90 pour cent de la population reçoit un salaire quasiment équivalent. Ce regard montre que l'individualisme moderne et occidental guette les esprits cubains, loin des promesses de la révolution. Ne percevant qu'à moitié le mal que le capitalisme engendre, les cubains souvent crédules y voient une potentielle libération de leur condition.

Se sentant enchainés par une politique autoritaire, ils sont prêts à tout pour devenir ce que je suis, moi, européenne, esclave consumériste d'un pays dit « développé » qui est aveuglé par l'appât du gain mais aussi très éloigné du respect des droits de l'Homme et de l'égalité.

 

Florence Cartoux, aux Urbains de Minuit

 

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