
Spartacus et Cassandra ou la possibilité du vivre ensemble
C’est l’histoire d’un voyage. Un voyage qui nous fait découvrir des enfants et leur interaction avec le monde ainsi que les fils du temps qui les entourent. Un voyage à travers le temps qui voudrait que l’on puisse voir des enfants grandir. Mais c’est avant tout une suspension dans le temps. « À 1 an je marchais déjà, à 13 ans on m’a séparé de mes parents ». C’est l’introduction du film et c’est Spartacus, enfant Rom qui parle. Que se passe t-il pour cet enfant et sa sœur Cassandra entre les deux états ? C’est un film aux facettes multiples comme le sont celles de la vie. Cette vie que l’on voudrait sédentaire. Cette vie que l’on voudrait identique pour tout le monde. Mais cette vie, elle bouge, elle aussi. Le mouvement est notre condition sine qua non à tous les êtres humains. Cette vie est faite d’impermanence. Notre univers bouge. La parole, les mots, les sons, les chants des enfants voyagent aussi. Alors pourquoi cela ne marche-t-il pas ? Pourquoi notre société rejette-elle les gens du voyage ? D’où vient cette peur qui augmente proportionnellement à la crise économique ? Cette peur qui fait que cet homme là s’entrave lui-même dans le sol en voulant à tout prix encastrer avec lui les autres. C’est une histoire de loi et de justice. Pourquoi nous faut-il cette justice ? La vraie justice est cette nécessité qui nous ancre au sol mais qui nous permet aussi de voyager. Ce film c’est l’histoire d’un sens commun à travers les différences. Et la grande question est la suivante : quel élément de notre monde permet alors de dépasser ces différences et de partager ? Ce film nous donne des éléments de réponse en filigrane. Des éléments qu’on ne perçoit qu’avec le temps. Qu’on ne perçoit qu’à travers le voyage, les chants et la poésie de ces deux enfants. Des enfants issus du voyage mais aussi des enfants qui vivent tout proche d’un autre univers, d’une autre bulle qui est celle de la sédentarité. Des enfants de l’entre deux. Deux positions. Des enfants à qui on demande de choisir. Rester ou partir. Des enfants qui veulent rester mais qui doivent partir. Des enfants qui oscillent entre l’enfance et leur responsabilité vis-à-vis des parents voire vis-à-vis de la communauté. Celle des parents roms mais aussi celle de la France, celle de l’école, celle de la République. Des enfants qui voudraient s’intégrer dans leur environnement. Des enfants pris au piège et qui se mettent donc à rêver. A rêver d’une maison qui ne bouge pas. D’une maison qui pourra les emmener à l’école. Des enfants qui ont le goût de cette envie, celle qui ressemble à une intégration. Des enfants qui voudraient être comme leurs copains de l’école. Des enfants dont les parents qui voyagent, sont différents. Des parents pour qui, il faut faire la manche parce que c’est comme ça. Parce que c’est la communauté. Parce que ce sont leurs parents.
Et puis il y a la rencontre. La trapéziste, celle qui vole, un ange, tout pareil aux ailes du désir de Wim Wenders. Celle qui les sauve sans vraiment le savoir et surtout sans vraiment le vouloir. Celle qui les fait vivre en France et qui va les faire voyager. Celle qui pousse pour les devoirs et pour l’école. Celle à qui le juge a laissé la main de l’éducation. Celle par qui la chance arrive. Le méchant juge qui aura finalement fait le choix le plus difficile et qui aura été l’élément le plus courageux du film. Un film qu’il faut voir parce qu’au travers des différences et de la tolérance qu’on accorde d’un côté puis de l’autre, à la fin, on ne sait plus. On pleure de tant d’amour possible. On ne sait plus qui sont les héros. Peut être bien tous ceux qui sont devant la caméra et bien entendu celui qui est derrière.
Je pense qu’au-delà des discours bien pensants et de l’intention même bien pensante du caméraman et réalisateur, Spartacus et Cassandra, ce n’est pas l’histoire glauque de deux pré-adolescents roumains, ce n’est pas non plus l’histoire des Gens du voyage, ce n’est pas l’histoire de la tolérance, c’est surtout et avant tout l’histoire d’une valeur commune. Une valeur qui a emmené les enfants, la trapéziste, le réalisateur, la mère un peu folle, le père voyageur et son juge dans une aventure commune, dans la possibilité du vivre ensemble. Et tout cela est vraiment beau. Et tout cela fait de ce film documentaire un bijou, quelque chose qui aurait le goût du chef d’œuvre mais un chef d’œuvre de la vraie vie.
Francesca Acquaviva, aux Urbains de Minuit