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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Le blues du Chieur-de-blette, à propos de Faulas de Nissa (Fables de Nissa) de Joan-Luc Sauvaigo

« … Bientôt, serons-nous peut-être balayés

Par la Déesse Avalanche

Précipités jusqu’à la mer

Roulés par la Grande Vague

Et Nissa

Aussi

Engloutie

Avec toutes ses guenons… »

 

Sauvaigo, le beatnik-troubadour tapi dans la « maison des rêves » d’une de cité iconique sans cesse caressée, nous offre avec ses « Faulas de Nissa / Fables de Nissa » un de ses joyaux poétiques dont il sait seul distiller la sulfureuse alchimie. Longtemps ressassée, aiguisée et polie au ressac de ses savoirs, de ses joies, peines, colères et haut-le-cœur, c’est une somme, que dire : un trésor, « lou Trésor » d’une nissardité insaisissable et joyeusement effrontée !

Ballade spatio-temporelle autour d’une Bellanda sublimée, ses Fables sont à la fois la brique d’adobe et l’arc-boutant d’une culture, d’un peuple, d’une terre et d’une langue mi-algonquienne, mi-occitane. Car la parole d’Oc de Sauvaigo ne saurait se soumettre aux injonctions de quelques félibres légiférants. Ainsi Nice sera Nissa ou rien ! Inutile d’argumenter. La graphie « Niça » imposée par les universitaires occitans ne passe pas chez Joan-Luc qui lui, se revendique comme un authentique « Caga-blea »(chieur-de-blette), mais irréductible et fier de l’être.

Fi donc des chamailleries entres graphies mistralienne (occitan moderne), alibertine (dite « classique » et plus respectueuse des variantes régionales) ou autre… le poète Sauvaigo écrit et « trouve » dans sa propre langue, une langue niçoise et planétaire du XX et XXIe siècle, une langue qui germa lentement en le berçant depuis ses premiers babils sur les genoux de sa grand-mère Félicie.

Avant toute chose cependant, rendons grâce à la précieuse traduction française de Miquèl de Carabatta, ainsi qu’à l’excellence du travail d’édition fourni par la maison Jorn (de Montpeyroux, en Languedoc-Roussillon).

Voilà qui est dit.

Aussi, hypothétique lecteur — qui que tu sois, et si comme moi tu n’as pour tout bagage que des rudiments de langue romane rustique, autrement estampillée « occitan médiéval », et si même tu n’entraves queue dalle à ces jargons (lati) qui te semblent archaïques et sentant le cul des chèvres — ne crains point de t’aventurer entre les lignes de ce livre aussi enrichissant et envoûtant que déridant. Tu liras donc probablement tout cela en français, et je te paries que tu y trouveras de quoi améliorer le parler et l’écrit que tes maîtres t’ont si mal enseigné.

Alors, si nous commencions notre promenade ici, face à la mer ? Le poète y revisite tendrement son « Archipel » en laissant dériver ses visions, ces « Barquettes de la Saint-Jean » (méduses ou vélleles - hommage au Dictionnaire Niçois-Français du chanoine Georges Castellana).

 

« À la nouvelle lune de printemps

Il arrive parfois

Que les vagues déposent

Sur la rive comme un long serpent

 

Qui ressemble à un grand ruban bleu

Mais ce rêve ne dure

Que le temps d’un regard, l’aventure

D’un instant, un éclair bleuté

 

Obstinément, sur la haute mer

La vélelle phosphorescente 

Nage comme un feu follet :

Sirène au baiser amer…

 

… /… »

 

Arpentons maintenant les galets pour rejoindre l’ascenseur du Château et s’engouffrer dans Le puits du Diable. Berlioz nous accompagne, mais c’est Faust que l’on entend… le temps d’apprendre l’histoire de cette construction en abîme, issue d’un pacte diabolique (qui plus est aux effluves tudesques !), où les niçois s’abreuvent depuis 1517.

Car au début, ici était une source. La source !

 

« …/…

- Mais Monsieur, l’Histoire ne parle pas de tout cela !

- Certes, mais lorsque l’Histoire défaille, ne peut-on pas à l’occasion la sustenter ? On ne peut douter que vos Massaliotes aient bâti Nikaïa. Et pourquoi lui auraient-ils donné ce nom, sinon pour se souvenir d’une victoire ?

- Peut-être, mais les Grecs n’ont pas simplement abordé un désert. Quid des « Ligures chevelus » ? Alors, au prétexte qu’ils n’ont pas laissé d’écriture connue, il faut légitimer un cambriolage linguistique ? Vous savez bien que leur langue — à la toponymie très précise — est incrustée dans nos langues contemporaines. Alors, pour Nissa, il ne pourrait bien s’agir que du rapiéçage grec d’un nom ligure à la consonance voisine ? Prenez par exemple le radical NIS qui signifie la source, l’eau de la roche…

…/… »

Le beau farceur que voilà ! On vous avait prévenus, ce n’est qu’un poète. Un pèlerin des nuages, un dresseur de légendes, un enchanteur de chorales pariétales, un mage des lointains silences tintinnabulants. Rien n’échappe à sa mémoire mais tout s’y dilue, se consume et cristallise pour se réincarner en un monde plus vaste, plus beau, plus vrai que « culture », sous sa plume fantasque et les incessantes virevoltes de sa verve aussi savante que canaille.

Laissons-nous guider et ballotter au gré de ses visites commentées où tout s’entremêle, «…/… Sa phrase est entrebascada — tressée, entremêlée — comme les vers et les rimes du trobar clus » (poésie dite hermétique des premiers troubadours). Son lexique et sa graphie forgent et détournent des mots dans une démarche parfois surréaliste, voire dadaïste !…/… (dixit Miquèl de Carabatta dans son Préambule du traducteur). Ainsi, par la Porte Fausse, rejoindrons-nous le bordel du Babazouc (porte du souk), à moins que nous n’allions trinquer à La Réserve, avec quelques figures d’envergure :

« …/… Premier à gauche, assis sur une chaise paillée, un verre de vin à la main, reconnaissable à sa chevelure frisée, un précurseur de la mode « afro », c’est François Guisol…/… » François Guisol, le poète (qui, pour ma part et pour des raisons qui ne regardent que moi, donna son nom à la plus délicieuse des rues de Nice), pionnier du théâtre populaire nissard, compagnon de jeux d’enfance de Garibaldi, mais qui s’engagea dans le camp contraire (socialo-franchouillard et badinguiste) y côtoie Eugène Emmanuel (autre précurseur du théâtre nissard avec son « Teatrino Martiniano ». Tout près, se tient Gracco Ontario «vagabond céleste » et ô combien mystérieux. Il joue de sa mandoline et scrute l’horizon.

« …/… Au bout de la table… le général Giuseppe Garibaldi trône dans un grand fauteuil…/… Il fume un long cigare urugayen, un de ces milondrès qu’il aime tant. Pupin, comme l’appellent ses amis, serre contre son épaule une jeune fille à la chevelure brune déliée. Il n’y a pas là d’arrière pensée libidineuse, encore que il Generale ait toujours cultivé le goût des jeunes beautés. »

À suivre toutes ces beautés, ces juvéniles reines des mais et puis le regard de Reparate la petite sainte et le rire de Catarina la virile lavandière qui s’essuya le derrière du drapeau honni, à voir se mouvoir et s’entortiller ces femelles carnassières sous le pinceau de Gustav-Adolf Mossa (La sirène Repue), ou bien alors les menues silhouettes trépidantes sur la pellicule de Jean Vigo (À propos de Nice), on en perdrait son chemin, son missel et son latin. Saviez-vous, par exemple, que ce brave Lénine rencontra ici un officier des services secrets allemands pour financer l’avènement du bolchévisme ? Saviez-vous qu’entre les murs de l’hôtel Oasis ou de la fumerie d’opium de Lympia… ah ça, mais voilà que je ne me souviens plus, que je me perds. Était-ce Nietzche en proie au délire, était-ce Lucifer lui-même se délectant de pissalat, ou bien était-ce Apollinaire lissant sa moustache avant de partir au front, à moins que ce ne soit Gaston Leroux enquêtant sur le monstre de la Jetée-Promenade ?

Eh, bien, c’est bien tout cela les Faulas de Nissa, et bien plus encore. De ces innombrables anecdotes où l’histoire dégrafe dans l’ombre ses portes-jarretelles jusqu’aux interrogations sur l’essence d’une identité culturelle, populaire et peuplée de fantômes aussi hilares que mélancoliques, OUI, ces Fables sont bien plus que de plaisantes affabulations ou des récits moralistes, elles sont les racines et les ailes d’une formidable légende, celle d’un pays et d’une ville qui n’a peut-être jamais existé… mais pourtant, la voix de Joan-Luc porte loin, si loin. Et tout en projetant sa Bellanda par delà l’azur des siècles, Joan-Luc laisse dériver tels de vaporeux cerfs-volants les images de tous ses êtres aimés, des plus illustres aux plus proches… son père, sa mère, sans oublier ses maîtres dont il sut retenir le meilleur, un suc d’excellence non soluble dans la médiocrité cathodique actuelle. Écoutez ce qu’il dit à Robert Laffont :

« …/… Je ne sais si nous avons pu remplir honorablement les étagères nissardes et exhausser ton vœu ? Peut-être un peu, de quoi enrichir la promenade ! De quoi relever le défi et passer le témoin de la diversité, qui sait ? Tu le savais, ce fut dur pour moi de trimbaler cette image touristique de succursale de Paris qui colle à la peau de ma Nissa. Et d’aucuns occitanistes un peu rustiques, des occitans viscéraux ne se sont pas privés de me la renvoyer. La nissardité étroite m’a tout autant pesé. Et pour cela, je suis été voir ailleurs. Aujourd’hui, je me fiche de cette sentence : je me contente d’être le bouffon universel ! Et c’est ma gloire d’avoir été le bouffon du Pape de l’occitanisme !

 

Ne nous trompons donc pas de langage. Pas question pour le poète d’encenser les aboiements revanchards de ces « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » et ne peuvent supporter que l’on soit « autre » ou que l’on vienne simplement d’ailleurs.

« …/…

Entrer, sortir, revenir. passer des portes qui n’existent plus, qui ne sont que l’idée que nous en avions. Comment revenir dans sa ville ? Ou bien rester ? Nous y sommes trop restés et nous l’avons tout simplement perdue de vue, en suspectant les autres de se l’être accaparée. Quelle erreur ! C’est nous qui ne l’habitons plus. Mais, comme les autres, nous l’avons confondue avec son apparence.

Le problème c’est l’immobilité, comme dans les cimetières, comme l’identité.

« J’en ai marre de l’identité ! »

Lafont dit aussi : « L’identité doit bouger sans arrêt », sinon elle mène au fascisme et à la mort.

…/… »

On pourrait continuer ainsi pendant des heures, à fouiller et à citer les bons mots du « camarade bon maître » Sauvaigo. Lui qui ne fut qu’un temps bref, instituteur. Mais qui préféra chanter son blues comme simple garde-barrière des Chemins de Fer de Provence, lui qui a patiemment forgé une œuvre aussi magique qu’originale et modestement universelle. Une œuvre faite d’écrits, d’aquarelles, de musiques, de chansons, de poèmes offerts comme une éternelle sérénade, « un amour de loin » , à la belle Bellanda, qui n’était peut-être — allez savoir — qu’une vision utopiste de l’Humanité. Vision terroriste, n’en doutons pas. Alors, rendre les armes ?

- Allez, Sauvaigo, rends-toi !

- « Mi rendre ? Jamai ! Lo mieu batèu es basta pintat de nòu»

(réponse en nissart de l’amiral Infernet aux anglais : « Me rendre ? Jamais ! Mon bateau vient d’être repeint à neuf ! »).

Eh, bien voilà. Je range maintenant soigneusement mon exemplaire des Faulas de Nissa, que Joan-Luc m’a si gentiment offert et dédicacé… entre Jack Kerouac et Herman Hesse. Ne tient qu’à vous, potentiels lecteurs, d’en faire autant.

 

 

Dom Corrieras - Maizières-lès-Metz - avril 2015

aux Urbains de Minuit

 

…………………………….

* Chez tout libraire digne de ce nom, ou alors à commander aux éditions JORN – 38, carrièra de la Dysse – F 34150 MONTPEIRÒS -www.editions-jorn.com

ou bien ici, par exemple : http://www.lalibrairie.com/tous-les-livres/faulas-de-nissa-fables-de-nissa-jean-luc-sauvaigo-9782905213471.html

 

2 commentaires
Le 0000-00-00 00:00:00 par dom corrieras
«  Coma es estrech lo regard de Nissa devèrs la mar ! »
Sauvaigo /Faulas de Nissa / Voluptat dau Denembri
Le 0000-00-00 00:00:00 par polydele
Yep ! Let's go Brice c'est ta wave !
Numéro : 52 -