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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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La Survivance des Lucioles de Georges Didi-Huberman

Pourquoi choisir ce livre qui ne date pas d'hier ? Pour l'auteur déjà : Georges Didi-Huberman est philosophe, historien de l'art. L'ensemble de son travail tourne autour des images. Objets à la fois politiques, esthétiques, psychologiques, les images ne se laissent pas pour autant complètement emprisonner par les théories. Fugitives, dangereuses, il convient d'apprendre à les interpréter.

Jamais dans la case où on l'attend, l'auteur ne se fait pas que des amis dans le milieu des spécialistes de la spécialité...

Dans La survivance des lucioles, Georges Didi-Huberman pousse son questionnement. Sa première intuition nous amène dans l'Enfer de Dante au 26ème chant. A l'instar de Virgile, l'auteur nous prend par la main "au milieu du chemin de notre vie" à la recherche des lucioles, petites lumières fugitives et fragiles. Les lucioles ici sont des petites flammes qui entourent les conseillers perfides ("elles errent faiblement comme si la lumière pouvait gémir") privés à jamais des lumières étincelantes du Paradis.

Autre lecteur avisé de Dante, Pier-Paolo Pasolini renverse la valeur des lucioles dans un petit texte de 1941, heures sombres en Europe. Chez lui, les lucioles sont des petites poches de résistance dans cette "selve obscure" du milieu du 20ème siècle, lueurs d'espoir, joies simples et fugitives, pourchassées par les lumières du pouvoir de Mussolini. Les "conseillers perfides" sont alors en pleine gloire et en pleine lumière. Le poète d'alors trouve des échappatoires à cette barbarie dans les archaïsmes du petit peuple des provinces italiennes, dans leurs dialectes, leurs modes de vie. 1975, trente ans après, le réveil est brutal pour le cinéaste. Lui-même alors en pleine gloire et en pleine lumière après le succès commercial de sa "trilogie de la vie", déplore dans un texte magnifique et désespéré le disparition des lucioles, avec la disparition des peuples et de leurs particularismes. Petits papillons attirés par la couleur des tubes cathodiques, le "sous-prolétariat" se brûle les ailes dans l'avènement d'un" vrai fascisme" basé sur le capitalisme et le consumérisme.

Ce cri désespéré et irréversible de Pasolini trouve écho pour Georges Didi-Huberman, dans la vision d'apocalypse du philosophe italien Giorgio Agamben. Nous sommes, selon lui, à une période de l'histoire où plus rien ne fait expérience, où le peuple est réduit à la constante d'acclamation d'un "règne de la gloire" perpétuel. Proche de certaines théories de Guy Debord sur "la société du spectacle", toutes les lumières sont braquées vers les gloires du moment, objets de consommation rapide, il n'y a pas de place, selon Agamben, pour des contre-pouvoirs, pour des poches de résistance, des lucioles. Pessimisme politique dont la seule issue est l'apocalypse, promesse ou révélation d'une vraie lumière.

A quoi bon écrire sur un pessimisme irréversible, semble dire Georges Didi-Huberman, dans quel but ? Pour l'avènement hypothétique d'un horizon meilleur après que tout soit détruit ? Pas plus que pour le cri déchirant de Pasolini, l'auteur ne cautionne ce verdict sans échappatoire. S'il déplore la disparition des lucioles c'est qu'il ne sait plus où les voir. 

A ne pas voir les lucioles, il ne faut pas en déduire qu'elles ont disparu.

"Organiser le pessimisme" disait Walter Benjamin, "trouver les ressources inattendues de ce déclin au creux des images qui s'y meuvent encore, telles des lucioles ou des astres isolés", de renchérir l'auteur. Il prône une théorie des survivances dans la même veine que son ainé. Comment déclarer avec Pasolini la mort des survivances : c'est impossible. Même si les temps sont au pessimisme, même si "le cours de l'expérience a chuté (...) il ne tient qu'à nous dans chaque  situation particulière, d'éléver cette chute à la dignité, à la "beauté nouvelle" d'une chorégraphie, d'une invention de formes."

Pourquoi avoir choisi ce livre pour le premier numéro du "journal aérodynamique" ? Il m'est apparu à la relecture  tant de similitudes avec la démarche des "Urbains de Minuit", dont cette volonté de déplacer les lieux pour voir les lueurs... Ce joyeux pessimisme, cette désinvolture sérieuse à vouloir faire survivre une ville dans laquelle la nuit a disparu, y décréter un "Minuit" arbitraire, pour y faire ressortir les Lucioles.

"Les lucioles, il ne tient qu'à nous de ne pas les voir disparaître. Or, nous devons, pour cela assumer nous-mêmes la liberté du mouvement, le retrait qui ne soit pas repli, la force diagonale, la faculté de faire apparaître des parcelles d'humanité, le désir indestructible. Nous devons donc nous-mêmes – en retrait du règne et de la gloire, dans la brèche ouverte entre le passé et le futur –  devenir des lucioles et reformer par là une communauté du désir, une communauté de lueurs émises, de danses malgré tout, de pensées à transmettre.

Voilà ce que propose Georges Didi-Huberman et ce que je propose très modestement avec lui comme appendice à un Manifeste qui existe déjà. Les Lucioles ne sont pas mortes, elle luisent encore. On en a aperçu  de nombreuses à la fin du mois d'Octobre 2012, vers minuit, et en ville de surcroit. Je souhaite longue vie à elles, ou plutôt, longue survivance.

 

Frédéric Louis, aux Urbains de Minuit et de midi

 

1 commentaires
Le 0000-00-00 00:00:00 par Cartoux
Le but de la survivance des lucioles est de montrer qu'il est possible de croire à un renversement des valeurs. Les lucioles ont une mission, celle de passer de la nuit au grand jour. De passer d'une minorité à la majorité. Nous serons prêt dans une r-évolution.
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