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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Abécédaire des Urbains: lettre B pour bon goût

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les réseaux sociaux c'est bien utile, ça fait parfois marcher l'imagination. Mais hélas la plupart du temps, derrière notre petite lucarne sur le monde, bien cachés derrière, nous nous laissons aller, nous nous vautrons dans la facilité sans avoir à répondre de nos actes. Je ne parle même pas de l'odeur d'égout qui émane de la haine, du révisionnisme, des théories du complot ou de la paranoïa généralisée et connectée. Je ne parle pas non plus du narcissisme bon enfant pour meubler la solitude, tromper l'ennui, le "c'est moi", "c'est moi qui l'ai fait", " je suis là", "je suis formidable".

Non je parle, et je me mets dans le panier, de cette veulerie bien naturelle à déclarer tout de go, ce que nous pensons vraiment, au fond de nous-mêmes, sans pudeur, bien planqués encore une fois et sans deux yeux en face de soi qui, à défaut de faire baisser les nôtres, nous rappellent que les miroirs c'est pas fait pour les chiens. Se laisser aller, c'est tellement bon, pisser dans son bain, péter dans les ascenseurs numériques.

Aussi, l'autre jour quand, au détour d'une conversation, j'ai entendu parler de Bon Goût, je n'en croyais pas mes yeux.

Il s'agissait de fustiger des chanteurs à la mode.... je laisse filer la conversation jusqu'à ce que notre bonne âme y aille de sa vérité éternelle : le bon goût, balance le gars en substance, se dicte tout seul depuis des siècles à coup de Bach, Vinci, Shakespeare (etc...) et les journaleux se rabattent sur  le populaire.

J'aimerais comprendre mais j'hésite. J'hésite en fait, entre un avatar anémié de l'esthétique de Hegel "pour les nuls" (en solution à 0,1%) et le dicton populaire du maquignon : "C'est à la fin de la foire qu'on compte les bouses". Pour moi le bon goût ça rime avec pompidou(pouh !), en gros, le chemisier de madame doit être raccord avec la cravate de monsieur et aux rideaux-losanges par la même occasion, et le skai beige dans la R16 vert sapin.

Aloooors comme ça, si je comprends bien, il faut attendre que les morts soyent bien morts, 200 ans minimum de sèche, comme pour les violons, pour que la Postérité fasse émerger d'ELLE-MEME le BG.

Non je vais pas jouer les idiots jusqu'au bout, je vais pas accabler notre bonhomme, notre bon père censeur, notre surgé de la Culture, sinon quid du jazz, du cinéma, de la BD, trop jeune tout ça ? Duke Ellington un peu trop vert , faut murir...les frères Lumière itou. Il veut dire quoi Totor ? Que c'était mieux avant, que le popu c'est vulgos, que seules les valeurs sûres ça s'écoute, se lit, se voit.

Au fond, il a raison, pourquoi changer notre mentalité à oeillères. Un peintre ça peint mieux quand ça crêve la dalle et les jazzmen, il faut leur taper dessus pour les attendrir (Bud Powell, Monk, Chet Baker...). Des injustices ? Gaston Gallimard qui refuse  "La recherche du temps perdu" de Proust, Céline qui rate le Goncourt avec son "Voyage" au profit de Mazeline et "Les loups" (je l'ai à la maison, je vous le prête, gardez-le). On pourrait donner des exemples de "génies" en quête incessante de places et de protecteurs ( Vinci, Mozart...intéressez-vous à leurs vies). On pourrait se dire aussi comment devinrent muets nos critiques des très officiels "cahiers du cinéma", une fois qu'ils sont passés derrière la caméra, nos amis de la "nouvelle vague"; certains mêmes ont fini dans ce "cinéma de papa" qu'ils ont tant fustigé.

Tout cela pour dire quoi ? Qu'au niveau individuel, ne se contenter que de valeurs sûres, c'est un choix certes discutable. Mais vouloir faire école, c'est impensable justement car dans la nouveauté d'aujourd'hui, il y a fatalement les "classiques" de demain : ceux que monsieur BG met temporairement au purgatoire.

Tout ça tourne en rond mon bon ami. Sur les genoux du critique, bien assis derrière son bureau, il y a d'un côté le Censeur et de l'autre le Marchand. Leur point commun : le manque d'imagination. Le censeur nous dit : IL NE FAUT PAS, range ta chambre, écoute Mozart. Le censeur c'est la valeur sure, le dernier refuge des imbéciles dont les choix sont guidés par une force supérieure : le Conformisme. Le marchand, lui non plus ne prend pas de risque, c'est pas le genre à monter au front.

La première qualité d'un critique à leur botte est l'abjuration. Abjurer, tout un art ! Savoir abjurer, veulement, sans honte, comme les cochons qui se roulent dans leur boue. Changer d'avis, avoir la carte. Plus il se trompent, plus ils ont la carte. Comme tous ces journaleux, ces intellos Mao-Mao 68 qui ont presque tous viré Sarkozystes. Les purs eux, ceux du front se sont brûlés les ailes, les autres ont fait du gras. Serge July si tu nous écoutes...

Les critiques, mêmes les marchands ne sont pas tous des assis, certains sont droits dans leurs bottes...mais combien ? Combien sont des têtes de pont ? Combien de marchand qui n'ont pas (trop) exploité les peintres modernes du début XXème, combien les articles élogieux sur Miles Davis au début (le premier par...Boris Vian, tiens !) Combien de batailles d'Hernani, combien d'amoureux, combien de passionnés, combien de découvreurs, combien ont la foi, bonne ou mauvaise. Au fond, il n'y a que la foi qui sauve, ou abime. Je préfère la mauvaise foi du charbonnier à l'attitude veule de ces censeurs, ces directeurs de conscience qui me donnent la nausée de tout éternité.

Je préfère hurler avec les loups, même s'ils n'ont plus de dents, que de bêler avec les agneau, car ça fait longtemps, bien longtemps qu'ils ont appris à compter et qu'ils ont bon goût. Ah ça oui, il a bon goût l'agneau français !

Bèeeeeh !!!

E.D.

 

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Numéro : 36 -