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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Le collège des Urbains, ou un Urbain au collège : Achille Morio

(photo : collège Vernier, Nice)

 

Serait-il possible d'entrer dans le monde scolaire de l'adolescence, d'y infuser pour un instant des vies hors circuit, marquer les esprits de ces jeunes en défaisant leur mythologie quotidienne et leur dire écoutez, voyez...il n'existe pas un seul fil d’Ariane, il n'existe pas un unique système. Ni une pensée unique vous disant ce que vous valez. La vraie vie n'a pas la bonne réponse et les vrais vivants se foutent des chiffres. Serait-il possible d'y entrer et leur montrer qu'au milieu de leur apprentissage du passé simple, un futur compliqué peut se vivre pleins d'appétits loin des idées que l'on nous rabâche sur la réussite ?

Achille Morio m'a montré que oui, dans cette masse scolaire, il est possible d'éveiller la curiosité des collégiens à une vie dans laquelle il n'y a pas de notes ni de chiffres, il n'y a pas de concurrence ni de compétition mais une affirmation sereine de soi au monde. Car Achille a su prendre un temps sur le temps pour parler de son expérience. Celle qui l'a mené vers le street-art. Celle du street-art. Celle de sa pratique d'artiste mais celle aussi d'un homme et d'un père. Tout ne se dit pas, et ça n'est pas la peine car beaucoup de choses se voient, se ressentent, s'éprouvent au delà du verbe, arrivent avant la parole. Achille portait un chapeau noir, un long manteau gris sombre. Ses vêtements amples ajoutaient à sa haute et longue silhouette un marquage fort dans l'espace du collège. Une coupe asymétrique. Une attitude tranquille et chaleureuse. Ce visage inconnu intriguait les élèves qui se passaient le mot : « c'est LE street-artiste ! ». Un événement à lui seul. C'est certain, Achille porte avec lui un univers, avant même de captiver les élèves par son récit.

Les élèves de 3° entrent, s'installent. Je m'efface rapidement pour le laisser face à la classe déjà attentive. Il nous parle alors de la naissance du street-art. Des artistes qui font le street-art partout dans le monde, depuis l'antiquité, dans les années 1960, et aujourd'hui. Et surtout de sa propre démarche, ici, à côté de chez eux, sur Nice. Les élèves lui ont posé durant toute l'heure des multiples questions. Ce mouvement artistique les intrigue, leur pose problème même. L'illégalité, pourquoi ? Et le statut de l'Artiste les fascine. « De quoi vivez-vous ? Comment vivez-vous ? ». Achille répondait à chaque question avec la fraicheur d'une expérience véritablement éprouvée et réfléchie, en toute simplicité. Il nous montre que c'est possible, que l'action artistique ne s'adresse pas seulement à des personnes indéfinies et inaccessibles. Que les artistes sont là, comme nous, vivent, cheminent dans les mêmes lieux que nous. Les élèves avaient sous les yeux un street-artiste qui leur a donné une vision de l'intérieur : l'adrénaline d'une nuit, l'aventure de l'interdit, la rapidité et ses techniques, être seul ou en groupe, les messages poétiques, politiques, contestataires, l'illégalité, les arrestations, les amendes, la prison, le statut du street-artiste dans la vie de tous les jours aussi. Beaucoup d'élèves étaient en admiration, les autres avaient du respect, une écoute. A la surprise de tous, Achille leur apprend qu'il a un enfant de leur âge. La question qui suit : « Il vous admire ? ». C'est ça être artiste. L'artiste suscite des sentiments forts, un imaginaire collectif foisonnant où c'est certain, il n'est pas comme les autres. Dans la classe, Achille était à nouveau le héros, fort et courageux, bravant de son pinceau les guerriers sans pitié. Il nous a transporté. Il aimait être avec les élèves, c'était bon !

Il n'est pas dans la contestation ou la provocation. Il se réapproprie un espace volé, celui de la cité pour le citoyen. Sans poser plus de problème. Avec lui, cela devient même normal. « Etes-vous célèbre ? » Non. Je ne suis pas artiste pour ça. Et finalement, être un street-artiste revient à être un anonyme volontaire. Il y a même un petit côté auto-sabotage : je réalise un travail, qui en amont peut être très long. Quelques heures plus tard, ce travail disparaît, effacé par les autorités de la ville. Notamment à Nice où des moyens énormes sont déployés pour faire disparaître les inscriptions, les dessins, etc. Etre street-artiste, c'est passer incognito, mettre la capuche, éviter les caméras de surveillance, furtif dans la nuit, discret dans les réalisations. Et pas de marché de l'art. A l'écart. Le street-art est un don que l'on fait à la ville. L'oeuvre n'appartient plus à l'artiste mais à la rue, aux citadins qui peuvent la photographier, l'arracher, se l'approprier. Peu importe.
Durant l'heure suivante, Achille a proposé aux élèves de créer un pochoir. Après une explication sur la technique, ils se sont mis à tracer, découper, inventer. Ce fut trop court.

Achille est intervenu pour donner aux élèves des connaissances et une expérience sur ce mouvement. Peut être seront-ils amenés à marquer eux aussi l'espace urbain. Cela se fera alors avec un vécu, et le souvenir d'un récit averti, expérimenté, personnel et nourrit de références.

Le street-art est un art de performance où l'artiste a une totale liberté d'expression. Loin des pressions du rendement, de la productivité et de la réussite par le chiffre, le street-art développe des nouveaux challenges : ceux de l'artiste-cascadeur et de l'artiste-invisible. Par l'intervention d'Achille, quelques élèves du collège Vernier auront vécu dans la peau d'une personne qui se fout des grandes portes et des chemins officiels. Les sentiers de traverses, secrets, parfois illégaux le font vivre bien mieux. Une belle expérience de vie qui ouvre les horizons de ces collégiens en quête d'une identité personnelle et collective.

Nous nous sommes donné à nouveau rendez-vous au collège. Car avec les Urbains de Minuit, c'est maintenant et partout que l'éveil des consciences agit.

Merci Achille ! Merci aux Urbains d'exister !

http://www.lesurbainsdeminuit.fr/portraits-des-urbains?action=detail&sp_id=COM1d3ed1222b99fa3ce1dd852ee5fa16577

http://lartocrate.com/les-chroniques/la-rubrique-noologique/index.html

Florence Cartoux, aux Urbains de Minuit

 

 

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Numéro : 46 -