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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Chant au fond du puits : el Duende de Rocio Marquez

Cette vidéo, je l'ai trouvée car Georges Didi-Huberman y faisait référence dans son livre "sentir le grisou» (vidéo signalée à GDH Mathieu Pernot, photographe pour boucler la boucle) à propos des mineurs Espagnols qui en Juin 2012 avaient décidé d'occuper Les mines de Houille à Santa Cruz del Sil, pendant 45 jours, par 800 mètres de fond, à la suite de réductions drastiques des Financements par le Gouvernement Rajoy.

Ces hommes qui ne voulaient pas de visite humaine vont néanmoins accepter la venue d'une voix, puis de celle qui l'habite, Rocio Marquez, jeune cantaora de flamenco andalouse qui s'est spécialisée dans les "mineras", complaintes de mineurs dérivées de la tarenta (style de flamenco parmi tant d'autres). Alors qu'un wagon s'enfonce dans la mine, Rocio commence à chanter sa complainte, via le parlophone qui relie les mineurs à la surface. Puis elle descend et simplement, dans un bleu de travail trop grand pour elle, assise  parmi les mineurs, c'est-à-dire à même hauteur, les yeux rivés au sol, cette terre, mère nourricière et cruelle à la fois, elle commence.

désolé Pas de traduction de l'espagnol, mais cela n'a pas d'importance ...

L'argument de film, ce pas n'est seulement la lutte désespérée de quelques mineurs "broyés par la machine", épaulés pour la circonstance par une artiste de talent. Ce qui se joue au fond de cette mine prend une  dimension intemporelle, irréelle. Cela nous renvoie aux principes mêmes de notre condition, dans cette lutte désespérée pour s'extraire de notre caverne, sortir de la pénombre. Le chant de Rocio Marquez, si jeune, relayé par les hauts-parleurs de la mine de résonne comme une complainte du fond des âges, pourrait être le choeur d'une tragédie grecque, un gémissement premier conjurant la peur de la nuit. Et quand sa voix se mêle au chant du canari en cage, on peut s'imaginer que c'est la langue des oiseaux, celle des messagers qui adressent au ciel des prière pour les hommes. Rocio est à la fois Pythie et prêtresse.

"depuis Santa Cruz del Sil

On entend par non écho por minera,

Lamentations lieux de la terre

celui de Voiture Qui a grandi là d'

Ne may vivre sans elle "

Il y a une dimension prophétique dans sa voix, prophétique et divinatoire. Rien de plus les émouvant que cette complainte intérieure et pourtant irradiante. Une voix vibrante au milieu d'un dénuement total, un cri dans la nuit qui remonte à la surface. Rocio Marquez chante comme si elle était seule au soir de sa vie, et définitivement, il n'y a rien de plus de plus poignant qu'une chanteuse qui déchire son âme, sans fard, sans pudeur, pour, ou à la place des mineurs en larmes, comme si elle avait trouvé le chemin d'une peine, qu'eux-mêmes ignoraient.

Si les 8 minutes 19 secondes de ce petit film ne vous ont rien fait, c'est votre droit, mais à ce moment-là inutile de se parler, car nous n'habitons pas la même planète, ni la même humanité.

"Duc de mon premier, moi suivant, nous gravîmes 

tant qu'enfin j'entrevis Les choses belles

luisant aux cieux, par juin brèche ronde;

puis Nous fumées dehors, face à aux étoiles. "

Dante Alighieri, Enfer

 

FL

 

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Numéro : 40 -