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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Détenu au parloir

Le parloir : une vue de l'extérieur depuis l'intérieur.

Qu'écrire ? Que dire à propos d'un parloir de prison ? Le « parlu », comme on l'appelle à l'intérieur.

Je crois qu'il faut commencer par souligner que les détenus qui ont la chance d'avoir de la visite de la part des personnes qui viennent de cette fantasmagorie que l'on nomme communément le dehors, l'extérieur, ou pour les plus rêveurs, la liberté, sont largement minoritaires au sein des établissements pénitenciers. Nous saisissons donc pleinement à la fois la chance que nous avons et le mérite de ces familles, de ces compagnes et de ces amis qui prennent la peine de se confronter au « bon côté » de l'univers carcéral. Car il s'agit bien là d'une peine, dans tous les sens du terme.

Qu'en est il de notre vision de la chose, à nous autres détenus ? Je crois que chacun d'entre nous se souviendra éternellement de son premier parloir, de la désagréable appréhension, fumant une ultime cigarette au milieu des ses semblables, juste avant d'y aller. Mais aussi et surtout de la joie de l'oubli presque total de la situation carcérale pendant les trente toujours trop courtes minutes et enfin du vague sentiment flottant de honte à l'issue de cet entretien forcément inoubliable. Encore que ce sentiment honteux ne soit pas ressenti par tous, je pense, mais uniquement par ceux qui ont encore suffisamment conscience d'eux-mêmes et de « l'extérieur » pour se sentir coupables d'avoir amené leurs êtres chers dans un endroit aussi glauque et inapproprié que ce fameux parloir.

C'est qu'il faut se représenter la chose telle qu'elle est et non telle qu'on peut se l'imaginer. Il s'agit en fait d'une pièce de 2 mètres sur 4 possédant à chaque extrémité une porte, vitrée pour la surveillance, et dans laquelle sont disposées deux assises face à face. Elles sont séparées par un muret sur lequel devait jadis reposer une vitre de séparation qui a été enlevée pour permettre aux visiteurs de serrer leur cher détenu dans les bras. Je passerai rapidement sur l'état de délabrement des locaux, des graffitis recouvrant les murs et de la crasse omniprésente, car en étant détenu ce sont des détails auxquels on s'habitue aisément. Il me semble plus important de se concentrer sur ce que l'on ressent à l'instant de cette fameuse étreinte.

Ce n'est rien de moins qu'une renaissance, on cesse pour quelques instants d'être un matricule, un numéro d'écrou pour être ressuscité à ce que nous étions dans notre vie civile. Mais ce que l'on ressent après, au retour en cellule, à travers ce couloir qui ne semblait pas si long à l'aller, ne peut être que l'effet exactement inverse et on a tout le loisir d'y songer et de s'y abandonner, une fois l'excitation retombée derrière la lourde porte blindée qui se referme. Plus ou moins insensiblement, après cette première visite, le malaise s'installe dans les cœurs de ceux à qui il en reste suffisamment. Comment n'avoir pas honte d'avoir amené ces personnes si chères à nos yeux, pour nous visiter comme lors d'une banale après-midi familiale dans un parc zoologique. Il faut pourtant bien continuer à vivre d'un côté et se contenter d'exister de l'autre.

Mais trêve de sentimentalisme excessif car il y a encore une facette pour le moins intéressante de ce lieu et de cette procédure qui reste occultée, et pour cause ! Il existe forcément, obligatoirement, un protocole de sécurité afin d'autoriser les détenus à se retrouver en présence de ces gens en contact avec le monde extérieur : palpations récurrentes, fouilles au corps si soupçons ou obligatoires selon les bâtiments, portique de sécurité anti-métaux, surveillance plus ou moins continue des matons. Ces procédures de sécurité visent principalement à empêcher, ou tout du moins à limiter, l'entrée de toute chose prohibée dans l'enceinte de la prison. Il s'agit, la plupart du temps, de téléphones portables miniatures ne sonnant pas aux portiques, d'alcool, de résine de cannabis ou encore d'argent liquide. Mais à dire vrai, toutes sortes de choses plus banales transitent par ce lieu, cigarettes, bonbons ou courriers devant échapper au contrôle de l'administration pénitencière.

Certains détenus ne sont pas des anges, encore moins des innocents, et il y a beaucoup d'irréductibles qui défient le système carcéral au travers du « parlu ». Cet unique lien matériel avec l'extérieur est le point de passage obligatoire de tout objet interdit. Le rubicon de ce que je m'amuse à appeler la « délinquance carcérale », ce qui est soit un non-sens, soit un pléonasme. Je ne me permettrai pas dans ces lignes de porter un quelconque jugement sur les personnes intérieures ou extérieures à la prison qui font passer ces choses au parloir. D'autant plus que les surveillants eux-même, sans vouloir jeter l'opprobre sur toute la profession, ne sont pas aussi intègres et irréprochables qu'il n'y pourrait paraître.

Je ne souhaite simplement à personne de devoir vivre ces instants où l'on voit ses proches se retirer de notre vue, tel un supplice de Tantale moderne.

Et pour rendre au mieux l'impression finale de dégoût que tout cela me procure, bien loin du respect et de l'admiration que m'inspirent tous ces courageux visiteurs, je vous cite en conclusion Charles Bukowski, page 129 des « Contes de la folie ordinaire », édité en livre de poche, et qui m'a gracieusement été prêté par la bibliothèque de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis :

"Quand je sortirai, j'attendrai un moment et puis je reviendrai ici, je reviendrai et je regarderai de l'extérieur et je saurai exactement ce qui se passe de l'autre côté et là, devant ces murs, je vais me jurer de ne plus jamais me retrouver derrière.

Mais je suis sorti et je ne suis jamais revenu. Je ne suis jamais venu regarder de l'extérieur. C'est comme une fille qui t'a fait des crasses : pas la peine de revenir.

T'as même plus envie de la regarder, mais tu peux en parler, ça c'est facile. Et c'est un peu ce que j'ai fait aujourd'hui. 

Bonne chance à toi l'ami, dedans ou dehors."

 

JB 406445

2 commentaires
Le 0000-00-00 00:00:00 par AL 41549
j' avais 19 ans quand je suis rentré en Prison , le souvenir le plus terrible que j' en garde est le visage décomposé de ma mère à chaque parloir et l' impression qu' elle souffrait plus que moi ... très touché par cette article .
Le 2015-12-05 00:42:05 par jb 406445
On aurait jamais cru souffrir autant de faire souffrir ces gens que l'on aime, jusqu’à en oublier notre propre souffrance n'est ce pas ...
Numéro : 39 -