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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Curiosité et Préjugé

J'ai toujours pensé que ce qui nous plaît dans la création de quelqu'un d'autre, c'est qu'elle contient quelque chose de nous, parfois tellement lointaine qu'elle arrive à nous apparaître étrangère. Le « plaisir » et le « beau » que l'on perçoit seraient alors dans cette résonance entre notre intériorité et ce qu'elle rencontre. Oui, même l’étranger a quelque chose qui nous appartient, au clou du paradoxe. Ma curiosité indéniablement naïve m’emmène souvent à chercher « des choses qui me plaisent » juste pour l'envie de ressentir ce plaisir.

Cependant, j'ai une drôle d’intolérance au « statut institutionnel de l'artiste », c'est-à-dire, je n'aime pas que quelqu'un me dise « celui-là est un artiste parce que nous le disons » (« nous », généralement, désigne à la fois les professeurs, les critiques, les commissaires-priseurs, les marchands, les galeristes, les acheteurs). Résultat, ce n'est sûrement pas aux Beaux-Arts que j'irai d'abord chercher des artistes.

Ceci dit, en flânant comme d'habitude dans ma recherche d'une alternative haletante, je suis tombée sur des dessins, d'emblée sombres et étouffants, pas vraiment mon genre, presque une BD de l'histoire de l'art - ou la représentation déformée du monde et de la société d'aujourd'hui, chargée de repères, au croisement bizarre des mondes d'un Bruegel  sauce Goya et de la science-fiction  américaine, post-moderne, post-urbaine, post-humaine. Nuances grises et noirs profonds, d'une puissance particulière – la profondeur d'un paysage de Gustave Doré. Les grimaces, les masques d'un James Ensor ou d'un Otto Dix. Les yeux rivés sur ces ombres mystérieuses, j'avais l'impression de pouvoir percevoir l'odeur de souffre et la manque d’oxygène. Une étrangeté qui en quelque sorte m'appartenait. Avant tout, ce qui m'attira était une certaine tension, provenant d'un lointain, indiquant une lumière, toujours présente, une sortie de secours, une prise d’aération, une promesse de vie au-delà de l'obscurité poussiéreuse. L'air électrique d'un orage estival. Dernier coup de théâtre, je découvre que l'auteur est bel et bien un de ces exemplaires d'artistes « à statut institutionnel », sorti tout droit et avec tous les honneurs de l’Académie.

Que faire ? Eh bien, un Monsieur comme moi ne se contente pas de la contemplation – en effet, il déteste la contemplation, truc pour les momies sous cellophane sans vie ni réactions. Donc si ses créations m'attirent tant, leur auteur sera t-il lui aussi quelqu'un d’intéressant ? Je reçois de l'auteur en question  une  cordiale invitation pour une visite dans son atelier. Étant donné que nos créations sont une matérialisation de ce que nous sommes, une partie de nous, un nœud d’énergie intérieure extrudée dans le monde pour y décréter notre existence, rencontrer quelqu'un par le biais de ses créations est quelque chose de profond, et profondément humain. L'air dans l'atelier était gris et poussiéreux, tout comme les grandes toiles que j'ai eu la chance et le plaisir de voir et de toucher. La lumière souple s'insinuait à travers les vitres des petites fenêtres sans trop s'imposer. Les couleurs, la craie et la mine du crayon engendraient un agréable parfum.

Je suis parvenu à plusieurs conclusions. D'abord, tout le monde devrait avoir droit à son propre atelier. L' « atelier » est un espace de liberté où l'être humain construit jour après jour sa propre et unique individualité. N'importe où, coincé dans quatre murs ou sous les étoiles, trouvez votre atelier.

Ensuite, l'usine ne fait pas le produit (ceux qui veulent entendre entendront).

Enfin, j'ai eu la confirmation de ce que je pensais à l’égard de la rencontre profondément humaine qui se produit entre une création et nous, lorsqu'on ressent cette résonance profonde. Et voilà pourquoi je crois que ce qu'on appelle Art passe le dernier rempart de résistance vers  l'humanité la plus vraie et la plus simple. Et que c'est encore vrai dans ce monde. Je vous souhaite de nombreuses rencontres aussi intéressantes. N’arrêtons jamais de poursuivre notre sacrée Curiosité.

A mort le Préjugé.

 

M Tristan Zà l'Anticritique

 

- L'artiste, dan mon cas, s'appelle Quentin Spohn

http://quentin-spohn.tumblr.com/

 

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Numéro : 39 -