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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Nice, Villa Arson : ça tourne en rond

S’il vous arrive de vous faire regarder de travers quand vous pillez les buffets des vernissages, n’hésitez pas : pointez-vous à Nice, villa Arson, Ecole Nationale des Arts Décoratifs, spécialisation Beaux Arts, essentiellement financée par le Ministère de la Culture, pour voir l’expo intitulée « Des récits ordinaires » et initiez-vous, étape par étape, à l’art-d’avoir-l’air-de-s’y-connaître-en-art.

Des schémas en forme de disques vous apprendront qu’une conversation sur l’art, c’est un peu d’art (sillons colorés) et beaucoup de conneries (sillons blancs). À vrai dire, vous vous en étiez toujours douté mais, grâce à cette enquête pointue menée de concert par un commissaire d’exposition (Grégory CASTERA), une chercheuse (Yael KREPLAK) et un poète (Frank LEIBOVICI), vous n’éprouverez plus la moindre culpabilité en oubliant de commenter ce qui est accroché aux murs dès le deuxième bout de quiche. Là ne s’arrête pas la charité dont font preuve les organisateurs du parcours à l’égard des piques-assiettes comme vous. Pour faciliter votre passage de la table des petits fours à celle des cubis, voire vos va-et-vient fréquents entre l’une et l’autre, des fragments de conversations, tenues par des spécialistes de l'art-d'avoir-l'air-de-s'y-connaître-en-art, ont été imprimés sur de petits rectangles de tissu. Ces antisèches, étalées sur des demi-cercles en mousse, ne sont malheureusement pas mises à disposition pour qu’on les glisse dans sa poche. Mais rien n’interdit de les apprendre par cœur en s’asseyant sur les demi-cercles (en mousse également) qui leur font face. Ce faisant, vous veillerez à vous imprégner du ton traînant mais compétent, nécessaire à la réussite de votre bavardage mondain grâce aux enregistrements audio déversés par les hauts-parleurs qui descendent du plafond. Les plus motivés pourront alors passer dans la salle suivante pour apprendre un des panneaux retranscrivant par écrit les dialogues enregistrés. Ne perdez pas de temps à choisir, n’importe lequel fera l’affaire. Ce qui compte, ce n’est pas tellement que les œuvres vous aient fait penser à quelque chose (tout le monde a compris, à la manière dont vous jouez des coudes pour atteindre le plat de toasts au saumon, ce qui vous intéresse vraiment, d'ailleurs la plupart des gens sont là pour les mêmes raisons que vous) que de parvenir à le prétendre, sans oublier de prononcer quelques mots obligatoires comme "Marcel Duchamp", "Erased de Kooning", ou "beauté de la déconstruction". Preuve d’une patience pédagogique infinie, l’exposition se clôt sur une pièce où les organisateurs n’ont pas hésité à installer un bar, circulaire lui aussi, autour duquel vous êtes invités à vous asseoir pour boire un thé, colorier avec des feutres votre propre schéma en forme de disque, et surtout imiter ce qu’on vient de vous montrer, en digne parasite de vernissage qui n’aura désormais plus à rougir quand il croise son regard dans le reflet du plateau à quiche dont il racle les dernières miettes.

Il est toutefois possible qu’au moment d’entamer une conversation sur ces œuvres d’art retranscrivant scientifiquement des conversations sur des œuvres d’art, tout se mette à tourner en rond autour d’un cercle vide.

Allongez-vous par terre,

respirez profondément,

lorsque la nausée aura disparu,

reprenez le cours de votre errance dans la blancheur des néons pour aller visiter les autres expos.

Si, après la belle démonstration à laquelle vous venez d'assister, vous vous entêtez encore à chercher une œuvre dans un lieu d'art contemporain, c'est que vous êtes assurément un réactionnaire bien profondément bouché. De fait, entre l'expo d'Aurélien FROMENT qui montre des cubes en bois et leur double photographique, et celle de Jean-Yves JOUANNAIS qui affiche le champ lexical de la guerre à côté des fiches techniques des avions et des bateaux de l'armée, les artistes semblent nous répéter qu'ils ne sont pas du genre à créer, que cela est réservé aux peintres de coquelicots et aux romanciers historiques. Après tout, c'est vrai : pourquoi construire une œuvre, pourquoi l'achever, l'accoucher, l'incarner (souvent dans la douleur, et sans la moindre garantie sur la valeur du résultat), alors qu'il est si simple, et tellement moins vulgaire, de ne rien faire d'autre que la penser ? Ou mieux encore : raconter qu'on y a pensé ?

À défaut de me faire bander, les expos de la villa Arson me font rire. 

 

Animande, aux niçois qui mal y pensent

2 commentaires
Le 0000-00-00 00:00:00 par suzanne
Bravo!!!! trés bien écrit!!! Heureuse de pas être la seule à avoir ressenti la vacuité arsonienne...
Le 0000-00-00 00:00:00 par Livio
Rire jaune..Hélas, Arson fabrique inlassablement de nouveaux académismes creux et appliqués, sans vitalité créatrice, sans poésie , et toujours sans humour... Des concepts qui ne concernent la plupart du temps que ceux qui les font, sans saveur ni humanité la plupart du temps..ça fait 25 ans que je le constate et le dis.... Dubuffet nous mettait en garde contre cela quand il écrivait que le "système" culturel est souvent mortifère et travaille à la mort de l'art...
Numéro : 36 -