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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Ilya Prigogine, de l'ordre dans le désordre

 

« Nos idées ne sont peut-être pas encore suffisamment folles pour être correctes »                                                                                                                                                                            Niels Bohr, Prix Nobel de physique 1922

 

La Nouvelle Alliance- Entre le temps et l'éternité - A la rencontre du complexe - Les Lois du chaos - La Fin des Certitudes- L'Homme devant l'incertain - Le Monde s'est-il créé tout seul ?

Quand on écrit des livres aux titres quasi mystiques, il se peut qu’on ne soit pas un simple scientifique belge d’origine russe, ayant fui le nazisme,  lauréat du Prix Nobel de Chimie en 1977, au savoir encyclopédique, connu pour ses apports majeurs en thermodynamique.  Il y a du Jacquard, du Reeves, du Monod, du Laborit, voire du Capra ou du Steiner, dans la démarche scientifique, devenue épistémologique de ce révolutionnaire de la science classique, pourtant méconnu du grand public, hormis peut-être dans sa terre d’accueil : la Belgique, où nous (eh, oui, ami urbain, une belge gauloise se dissimule perfidement dans tes rangs)  sommes si fiers qu’une branche de L’Université Libre de Bruxelles porte son nom et que sa pensée, mise à toutes les sauces, irrigue les réflexions de bon nombre de têtes pensantes.

Car les découvertes majeures d’Ilya Pigogine sur l’irréversibilité du temps, l’indéterminisme dans les domaines scientifiques de la cosmologie, la mécanique quantique, la neurologie et des sciences du cerveau  ont, depuis des décennies, été appliquées aux phénomènes sociaux et à la constitution de la société dans son ensemble. Allez, tentons de le comprendre et vous allez voir que tout s’éclaire, que le doute qui nous paralyse doit être éliminé car la nature nous montre, au plus profond de ses particules, le chemin à suivre.

Un ordre plus stable après le Chaos

En réalité, tout se passe comme si,  lors de perturbations majeures, par exemple le Big Bang, un désordre extrême avait lieu, une désorganisation totale de l’ordre établi au préalable autour d’un « point d’équilibre », et que, à un moment donné, ce désordre, cette anarchie cosmico-chimique semble s’organiser, mais loin du point d’équilibre initial, et selon des règles inattendues, non-modélisables, en un ordre plus stable, plus fort, plus durable que le précédent.

« On a découvert que, quand vous allez loin de l’équilibre, par exemple, en considérant une réaction chimique, que vous empêchez d’arriver à l’équilibre, se produisent des phénomènes extraordinaires que personne n’aurait cru possibles ; par exemple, des horloges chimiques. Une horloge chimique, qu’est-ce que c’est ? Prenons un exemple : vous avez des molécules qui de rouges peuvent devenir bleues. Comment imaginez-vous voir ce phénomène ? Si vous pensez que les molécules vont au hasard, vous allez voir des flashes de bleu, puis de flashes de rouge. Mais il se produit, loin de l’équilibre, dans d’importantes classes de réactions chimiques, des phénomènes rythmiques. Tout devient bleu, puis tout devient rouge, puis tout devient bleu, c’est-à-dire qu’une cohérence naît, qui n’existe que loin de l’équilibre. (…) Donc, loin de l’équilibre, se produisent des phénomènes ordonnés qui n’existent pas près de l’équilibre. Si vous chauffez un liquide par en-dessous, il se produit des tourbillons dans lesquels des milliards de milliards de molécules se suivent l’une l’autre. De même, un être vivant, vous le savez bien, est un ensemble de rythmes, tels le rythme cardiaque, le rythme hormonal, le rythme des ondes cérébrales, de division cellulaire, etc. Tous ces rythmes ne sont possibles que parce que l’être vivant est loin de l’équilibre. Le non-équilibre, ce n’est pas du tout les tasses qui se cassent ; le non-équilibre, c’est la voie la plus extraordinaire que la nature ait inventée pour coordonner les phénomènes, pour rendre possibles des phénomènes complexes.

Donc, loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. Et des concepts comme l’auto-organisation loin de l’équilibre, ou de structure dissipative, sont aujourd’hui des lieux communs qui sont appliqués dans des domaines nombreux, non seulement de la physique, mais de la sociologie, de l’économie, et jusqu’à l’anthropologie et la linguistique. » Ilya Prigogine, Temps et Devenir.

Serions-nous aujourd’hui, dans cette situation de Chaos, de mouvements accélérés et erratiques « loin d’un point d’équilibre » (mais a-t-il jamais existé ?), précurseurs d’un nouvel ordre plus stable, naturel et imprédictible ?

Loin des points d’équilibre, il y aurait donc des phénomènes d’auto-organisation spontanée, des ruptures, des évolutions vers une complexité et une diversité croissante. Au-delà de cela, réfutant Newton et Laplace, sur lesquels tout le paradigme scientifique classique de réversibilité des phénomènes était basé, Prigogine introduit le concept d’irréversibilité des phénomènes, qui semble couler de source :  puisqu’une évolution est anarchique et imprévisible, aucune modélisation mathématique , aucune équation chimique ou physique, ne peut, en étant appliquée de façon inversée, ramener l’organisation finale post-chaotique à son point de départ initial puisque les facteurs d’évolution qui l’ont conduit à son nouvel état d’équilibre sont totalement imprévisibles, non-modélisables.

Il y a un demi siècle maintenant, la flèche du temps a été décochée à Bruxelles : le hasard, l’imprédictibilité, le désordre et le chaos, y ont acquis, pour le première fois, leurs titres de noblesse avant de devenir des paradigmes indubitables. Une nouvelle science est née : la physique des processus de non-équilibre.

Tout est imprévisible et non-contrôlable et pourtant conduit à un équilibre inédit, irréversible et supérieur. Avec Prigogine, la science, le monde, la vie, l’être humain entre dans l’ère de l’Incertitude, certes, mais pas de la Peur car l’équilibre qui advient suite au Chaos est toujours supérieur et stable.

Ainsi, au-delà même de la philosophie « qui ne parle que de la table », il y aurait des méta-lois fondamentales qui oeuvrent à notre insu et sans possibilité de contrôle de notre part (impérativement sans contrôle de quelque nature ! ), à l’établissement d’une harmonie supérieure.

Quand la physique-chimie propose une espérance sociétale

Faut-il vraiment rendre évidentes les conclusions de tout ceci ?

On voit très bien quel type de débat tout cela pourrait amener dans la société actuelle …

Car il y a un acte de foi, d’espoir et de générosité dans le pensée de Prigogine. Rares sont ces hommes qui ont osé quitter si radicalement le confortable giron de leur laboratoire et dépasser leurs impulsions théoriques pour remettre en cause la société et proposer un paradigme optimiste et créateur d’infinies possibilités de régénération. A partir des années 80, Prigogine n’a plus écrit que des livres de réflexions philosophiques et sociétales.

Voici ce qu’il écrit en 1988 : "La meilleure compréhension des instabilités des systèmes écologiques et l’étude des perspectives d’avenir de notre planète sont évidemment des sujets prioritaires. (...). La science classique semblait devoir conduire au désenchantement, voire à l’aliénation (...). Mais la conclusion essentielle que je voudrais tirer de mes travaux, c’est que le XXe siècle apporte l’espoir d’une unité culturelle, d’une vision non-réductrice, plus globale. Les sciences ne reflètent pas l’identité statique d’une raison à laquelle il faudrait se soumettre ou résister,- elles participent à la création du sens (...). L’un des enseignements fondamentaux que nous propose la science de notre siècle est que le temps n’est pas donné. Le temps est construction".

Il y a chez Prigogine un retour au mystère des origines, à l’art dans sa plus belle définition : l’étonnement est le point de départ et  la créativité sa réponse. Par les phénomènes d’auto-organisation, le système, mu par sa propre sensibilité créé du sens. N’approchons-nous pas là de la démarche artistique dans laquelle l’homme est créateur de son œuvre, et par extension de son destin,  alors que ses buts sont indéfinis, son objectif inexistant, sa démarche irrationnelle ?

Prigogine, à l’instar de Darwin, réhabilite également le hasard, non pas comme une absence de signification, ni un absurde insensé. Il refonde le monde sur l’imprévisibilité, la spontanéité, la nouveauté, comme étant des valeurs fondamentales et redonne ses lettres de noblesse à la créativité.

Alors, si notre société vous semble invivable, si vous trouvez vous aussi que l’accélération des dysfonctionnements augmente, que le tourbillon des difficultés vous saisit à la gorge chaque matin, que la carcéralisation de notre monde hyper-sécuritaire vous étouffe, qu’il y a trop de lois, trop de contraintes, trop d’interférences et de corruption, trop de diktäts et de suspicion ,….tâchez de garder espoir, tentez de croire que nous sommes probablement dans les phases ultimes d’un Chaos sans règles prédictives qui culmine à son point de désorganisation maximal avant de retrouver un état stable et supérieur et  ce, quoique nous fassions vraiment pour l’atteindre de façon consciente.

Il se pourrait que nous soyons tous des « structures dissipatives » contribuant à ce grand Chaos. Il se pourrait que le Chaos de Prigogine soit une forme d’anarchie libertaire dont l’ordre ultime s’impose par lui-même. Il se peut que l’évolution soit positive et que nous ayons le devoir de cet optimisme puisque la nature nous en montre l’exemple. Il se peut que notre action spontanée, profondément intuitive, conduise à une réorganisation majeure et positive de la société.

Et si la perte des certitudes n’était pas angoissante, peut-être accepterions-nous ce nouveau point de vue :

 Le Chaos comme modèle organisateur. Pourquoi pas ?

 

 

« L’excédent d’ordre engendre désordre et cacophonie. La théorie du Chaos nous enseigne qu’il contient en lui-même ses propres facteurs d’équilibre et d’ordre.» R. Vaillancourt

« L’explication de 1’irréversibilité est qu’il y a plus de manières pour les clous ou les pièces de monnaie d’être mélangés que triés. I1 y a plus de manières pour les pots de beurre et de confiture d’être contaminés 1’un par 1’autre que de rester purs. Et il y a plus de manières pour les molécules d’un gaz d’oxygène et d’azote d’être mélangées que séparées. Dans la mesure où on laisse aller les choses au hasard, on peut prévoir qu’un système clos caractérisé par quelque ordre initial évoluera vers le désordre, qui offre tellement plus de possibilités. »

 

 

Karla Paslac, aux Niçois des villes et des campagnes

épistémologie : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89pist%C3%A9mologie

paradigme : http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradigme

 

 

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Numéro : 28 -